𝗔

110 27 8
                                    

Chapitre 1

Sous un soleil rougeoyant , ses pas sur le sol asphalté étaient cadencés par les quelques notes qui s'échappaient des cordes d'une mandoline . Tenant fermement les sangles en cuir de son sac tout en suivant cette ligne droite et étroite du trottoir , son regard vert balayait la grande bleue qui se mouvait au loin avant que ce dernier ne disparaisse complètement derrière de grandes bâtisses . Subitement , son corps bascula de côté et ses pieds se rejoignirent pour ne plus bouger du moins durant le temps qu'il lui avait fallu pour réaliser qu'elle était à deux doigts de se faire écraser par un chauffard fou furieux . Son sourire disparu et elle ne pu s'empêcher de lâcher un juron . C'est à présent les sourcils en conflit et les yeux baissés sur ses baskets poussiéreuses qu'elle continu sa route silencieusement .

Un brouhaha s'était invité aux creux de ses tympans tandis-que différentes senteurs titillaient ses narines . Elle venait de faire son entrée dans le marché aux fruits . Progressivement , elle relevait la tête et ses yeux ne tenaient plus en place . Le marché offrait une explosion de couleur dont elle ne s'était jamais lassé depuis son tendre âge . Son regard survolait les étalages , se promenait entre les formes , les textures , les couleurs . Sa crinière frisée réussit à se faufiler dans la foule avant de s'arrêter devant une pyramide de ramboutan .

- Comme d'habitude ma petite dame ? un homme en chapeau de paille surgit derrière les fruits .

- Oui , elle saisit le fruit et de ses doigts fins , elle en effleure la pelure .

Rapidement , ses dents blanche mordent le fruit rouge pour se débarrasser de la couverture fibreuse puis elle récupère la pulpe qu'elle place entre ses lèvres avant de l'aspirer .
Après avoir payé , cette dernière s'éloigna du marché . La route se faisait à présent moins peuplé et donc peu bruyante . Quand elle atteint le terrain vague , quelque peu fatiguée , c'est en trottinant que la jeune fille complète son itinéraire comme chaque jour quand elle revenait du lycée .

Quelques sueurs perlant au front , elle était enfin arrivé devant sa maison de brique rouge . Son visage se froisse lorsqu'elle voit une foule regroupée devant l'entrée , une voiture de police piétinant la pelouse et une ambulance qui débarquait . Une fois de plus , elle se faufila entre les gens pour parvenir à la porte . Elle ne porte que très peu d'importance aux paires d'yeux qui la scrutent et s'introduit chez elle . Ses pas font grincer le plancher , son étreinte se ressert autour des sangles . Elle redoute le pire ...

- Mademoiselle Ayssé ?

Détaillant l'agent de police qui complétait les dernières marches des escaliers , un frisson parcouru son corps et la crispa . À présent , comparable à une brindille , elle pouvait tomber au moindre coup de vent .
À la moindre mauvaise nouvelle .

- Veuillez me suivre s'il vous plaît .

Ses yeux valsèrent dans la pièce éclairée par quelques faisceaux lumineux qui se frayaient un chemin dans une pénombre des plus inquiétantes . Elle peine à garder un calme qui tend à se dissoudre .

- Où est mon frère ? s'enquit-elle d'une voix tremblotante

- D'abord ...

- Où est mon frère ? hurla-t-elle .

L'homme reste interdit , frappé par le ton de sa voix qui prit une teinte des plus sombres . Un ton des plus impératif . Un ton couvrant le bruit d'un corps craquelant , d'un cœur qui éclate en plusieurs milliers de morceaux comme le verre que l'on martèle avec la plus grande de nos forces .

- Il est en haut n'est-ce-pas ?
La main posée sur la rambarde des escaliers en bois , elle fixe l'homme qui depuis quelques instants demeure les lèvres closes , une lueur de compassion au fond de ses iris foncés .

À peine le pied posé sur la premier marche qu'elle est vivement tiré en arrière par la main ferme de l'agent qui ne pouvait plus rester de marbre . Haletante , elle débite des phrases incompréhensibles avec comme bruit de fond des reniflements miroir de sa douleur .

- Lâchez moi ! , réussi-t-elle à sortir avec vivacité .

Il était hors de question que l'on lui refuse ce qui lui revenait de droit . De sang . Et d'amour .

Cette dernière se débat sans succès . Il la maintient fermement .

Ce qu'elle voulait voir à tout prix n'était que horreur . Représentation de la profonde nature d'un homme au fond . Sauvage . Mais cette atrocité ne l'effrayait pas ou du moins pas encore . Elle réussi à échapper à l'homme et dévaler ces marches d'escalier dont elle brûlait d'envie . Elle déboule , son corps frêle et tremblotant déboule dans le couloir où ses genoux se posèrent si brutalement qu'on crût qu'elle n'aurait plus la force de se relever mais seulement ...

Ses paumes de mains sont tachées par le sang qui recouvre le plancher de bois . Ses yeux clos comme condamnés se préparent à confirmer ce qu'elle crût un mirage . Un cauchemar .

Pincez - moi ! , aurait-elle voulu crier de toutes ses cordes vocales mais la réalité qui lui faisait face s'était violemment emparé de sa voix .

Ses mains se baladèrent sur le torse du corps sans vie de Kenneth . Cinq balles dans la poitrine n'avaient pas suffit , dix coups de couteau pour compenser ... Trois balles dans la tête n'avaient non plus été suffisant , l'assommer avait été jugé bon pour en finir .

Qui d'autre à part un autre homme fait de sang , de chair et visiblement animé d'une dangereuse haine pourrait être auteur d'une telle atrocité ?

D'un geste lent , elle ferma les yeux de son frère . Aussi étrange que ça puisse l'être , elle était intimement convaincu d'y avoir lu quelque chose . Comme si sa dernière pensée , son dernier souffle , son dernier battement de cil lui étaient destinée . Ils lui livraient un message qu'elle connaissait déjà et de surcroît , par coeur !

Il lui demandait de rester forte le jour où elle n'aura plus d'épaule sur laquelle se reposer , le jour où la maison lui semblera soudainement silencieuse et que même leurs rires d'enfants d'autrefois cesseront de résonner dans le jardin .

Le jour où il ne lui restera plus rien qu'une misérable existence .

Kenneth lui avait déjà résumé sa fin de vie avec un rictus qui ne présageait rien de bon , il voulait juste se rassurer avant de la rassurer .

Se rassurer avant de la rassurer .

Il avait peur mais restait implacablement impassible , l'air serein .

« Un caïd ne finit jamais dans de bonnes circonstances » lui avait-il dit . Devenir caïd était la vie qu'il avait choisi , il ne l'était pas ou du moins ne l'avait jamais été . Son cœur bien trop grand pour ça , pensait-elle . Il lui avait résumé ce jour où son âme le quittera . Horriblement tué , avait-il prédit de lui .

Combien de mal avait-il commis pour ne fût-ce que oser penser ainsi ? Suffisamment pour faire naître et grandir en quelqu'un un sentiment dévastateur .

- Je fais quoi maintenant ? , lui susurra-t-elle avec le fort sentiment qu'elle était à présent seule au monde , seule face au monde .

𝗔𝗬𝗦𝗦𝗘Où les histoires vivent. Découvrez maintenant