Chapitre 2

884 105 40
                                    

Je ne pensais pas spécialement avoir de nouvelles de Thomas, même si j'avais passé une bien meilleure soirée que ce à quoi je m'étais attendu. J'étais revenu à Rennes depuis deux jours quand Élodie vint me parler sur Facebook, ce qui ne lui arrivait presque jamais. Sauf quand elle avait besoin de moi pour l'aider sur un exercice quelconque, bien sûr. J'ouvris la fenêtre de conversation à contrecœur. Je n'avais pas le temps de lui parler, avec cette fichue dissert' sur Dürrenmatt qu'il me fallait boucler pour la fin de la semaine. Elle s'embarrassait rarement de politesses comme « bonjour » ou « comment vas-tu ? » quand on se parlait sur le net, et cette fois encore moins. D'habitude, ça m'agaçait, mais vu la teneur des nouvelles qu'elle avait à m'annoncer, je le remarquai à peine.

Thomas a disparu. Il a fugué.

Voilà de quoi me faire oublier Dürrenmatt, au moins temporairement. Je bombardai Élodie de questions. Depuis quand ? Où ça ? Comment savait-elle que c'était une fugue ? Il avait disparu depuis ce matin-là, à huit heures. Il était censé rejoindre le reste des correspondants allemands et les élèves germanistes de première pour une excursion à Carnac et Quiberon. Il ne s'était jamais présenté devant les portes du lycée. Après avoir attendu une quinzaine de minutes, le bus était parti sans lui. Les profs avaient pensé à une panne d'oreiller, et avaient attendu la pause de midi pour appeler le collège et signaler son absence à la vie scolaire.

Élodie avait été en cours toute la journée sans se douter de rien, puisque les élèves de Term ne participaient pas à l'excursion. À la fin des cours, elle l'avait attendu un peu à la sortie du lycée, et puis elle avait pensé qu'il était rentré seul. Elle était arrivée chez elle au moment même où la vie scolaire appelait ses parents. Là, ils avaient constaté que Thomas avait fait ses bagages. Il n'avait laissé derrière lui que le mug que les parents d'Élodie lui avaient offert en cadeau de bienvenue. La chambre était impeccable, le sol balayé et le lit refait. Ils avaient cherché une lettre, un mot d'explication, en vain. Ils avaient essayé de l'appeler. Évidemment, il ne répondait pas. Voilà pourquoi Élodie était venue me parler : parce qu'elle espérait que, peut-être, si c'était moi, il décrocherait. Si ça ne donnait rien, ils seraient forcés d'appeler la police et de prévenir sa famille.

J'insistai :

« Tu es sûre qu'il ne s'est rien passé qui puisse expliquer ça ? Vous ne vous êtes pas disputés, rien ?

— Non, je te dis. Rien. S'il te plaît. Appelle-le. »

Elle venait de me donner son numéro et je réfléchissais à ce que j'allais pouvoir lui dire quand mon téléphone sonna. C'était Thomas. Ça grésillait un peu et il parlait en allemand, trop vite pour moi. Je le comprenais mal. Je parvins cependant à saisir qu'il me suppliait de ne rien dire à Élodie, et puis qu'il était à Rennes.

« Hein ? Was machst du in Rennes? » m'exclamai-je.

De nouveau, j'avais du mal à discerner ses paroles. Je lui demandai où il se trouvait, mais il était incapable de me répondre. La communication coupa tout à coup. J'allais faire part de ce nouveau développement à Élodie, mais avant d'avoir eu le temps de revenir à l'ordinateur, je reçus un texto :

Ne dis pas à Élodie. S'il te plaît. Place Sainte-Anne.

C'était déjà plus clair.

J'étais partagé. Je n'avais pas plus envie que ça de me faire complice d'une fugue, mais, d'un autre côté, j'avais la certitude qu'Élodie ne m'avait pas tout dit. Je repensai à la façon dont elle avait ignoré le pauvre Allemand toute la soirée, l'autre fois, au Bouffay. Il ne courait aucun risque immédiat ; je savais où il était, il semblait disposé à me parler et n'allait pas se volatiliser. Je souhaitais avoir sa version des choses avant de le « trahir » à Élodie. Je rouvris Facebook et écrivis :

Le Correspondant inattenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant