Chapitre 6

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C'était bondé, mais le décor était sympa. Il fallait d'abord traverser la cour intérieure de l'ancienne prison, puis gravir un escalier en colimaçon pour accéder au bar. Une fois là-haut, on constata qu'il n'y avait nulle part où s'asseoir. C'était prévisible, un jeudi soir à cette heure-là. Laura s'était perchée sur une table, Marine restait debout à côté d'elle. Elles nous saluèrent avec enthousiasme. Thomas eut l'air surpris qu'elles lui fassent la bise alors qu'on les avait déjà vues plus tôt dans la journée. Elles avaient les yeux brillants et des couleurs au visage. On avait visiblement quelques bières de retard sur elles. J'en commandai deux pour Thomas et moi.

Laura se leva et nous ramena des shots de vodka aromatisés au caramel. Je ne voulais pas trop boire, car il fallait qu'on se lève tôt le lendemain pour que j'emmène Thomas à la gare. Mais Marine nous ramena des shots, elle aussi, et je sentis que je n'avais pas d'autre choix que de payer une tournée moi aussi. Je me demandais si Thomas avait l'habitude de boire des alcools forts. Je me rappelais qu'à dix-sept ans, quelques bières suffisaient pour que je sois bourré.

Marine était en train de m'expliquer à quel point Delmotte était injuste dans ses notations quand je me rendis compte que Thomas n'était plus à côté de moi. Je plantai Marine quasiment au milieu d'une phrase et partis à sa recherche. Je fis le tour des trois salles de La Banque, en vain et recommençai. Je commençais à m'inquiéter, quand je le repérai dehors, accoudé à la balustrade.

Des coursives donnant sur la cour intérieure faisaient tout le tour du bâtiment. Depuis l'interdiction de fumer dans les lieux publics, elles étaient très fréquentées. Thomas observait les gens qui s'amassaient dans la cour, pour la plupart des étudiants d'humeur fêtarde. Il m'adressa un sourire quelque peu mélancolique quand je le rejoignis.

« Ça doit être vraiment cool de faire ses études ici.

— Ceux qui font leurs études à La Banque réussissent rarement leurs examens, tu sais. »

Ma plaisanterie n'était pas drôle, ce qu'il me signala d'un haussement de sourcils. En à peine deux jours, j'étais devenu plutôt bon à décrypter ses signes de communication non verbaux.

« Mais tu sais ce que je veux dire, reprit-il. Ici, dans cette ville. J'aime beaucoup Rennes. »

Ma main était posée sur la balustrade, juste à côté de la sienne. Il la pressa brièvement. Une drôle d'émotion me serra la gorge. Je n'avais pas vu ces deux jours passer. Je ne voulais pas qu'il parte. J'eus peur de ne plus jamais le revoir. C'était une pensée insupportable. Je repris sa main. On resta ainsi plusieurs minutes, sans plus rien dire. Cela aurait dû être embarrassant. Ça ne l'était pas. J'étais bien.

La voix de Laura me fit sursauter :

« Bon, les amoureux, on va en boîte. Vous venez ? »

L'espace d'un instant, j'eus très envie de me retrouver sur une piste de danse avec Thomas. D'alimenter le feu dans mes veines avec quelques vodkas supplémentaires et de me retrouver collé contre lui par la foule autour de nous, par le rythme des basses dans nos corps. Je ne repris pas Laura sur son « les amoureux ». À quoi bon ? Ça ne ferait que rendre gênante une situation qui ne l'était pas à la base. Thomas répondit pour moi :

« J'aimerais bien, mais on doit se lever tôt demain. »

Laura hocha la tête.

« Dommage. C'était cool de te rencontrer. N'hésite pas à revenir ! »

Dans la rue, il se tenait à quelques mètres de moi. Il se retourna et commença à marcher à reculons, en fredonnant la dernière chanson qui était passée à La Banque. Je me rendis compte que nous étions tous les deux plus éméchés que je ne l'aurais cru. Je le rattrapai et passai mon bras autour de ses épaules. Il se retourna et m'enlaça dans une étreinte improvisée. Il se mit à marmonner dans mon cou :

« Tu sais, j'aurais pu faire du stop jusqu'à Paris, ou, je sais pas... Appeler mes parents, quelque chose. Je suis venu parce que je voulais te revoir. »

Ça devenait trop sentimental pour moi. Ce n'était pas un terrain sur lequel je me sentais à l'aise. Je l'attrapai par la main.

« Allez, viens, il faut qu'on rentre. »

Il n'y avait plus de bus ni de métros à cette heure-ci. Ça voulait dire que nous devions rentrer à pied ou bien attendre le bus de nuit, qui ne passait qu'une fois par heure. Il faisait bon pour le mois de novembre. Je pris plaisir à déambuler dans les rues, bras dessus bras dessous avec Thomas. Peut-être qu'on aurait dû s'arrêter, se blottir dans l'ombre d'un mur, profiter de notre ivresse pour un baiser ou plusieurs. Mais je n'étais pas capable de prendre ce genre d'initiatives.

Après un passage éclair dans la salle de bain, je m'écroulai sur le lit. Thomas devait être à la gare à sept heures quarante ; j'avais donc mis le réveil à six heures trente. Ça lui laisserait tout juste le temps de prendre une douche et d'avaler un petit déjeuner rapide. J'avais éteint le plafonnier, mais laissé les volets ouverts. L'alcool faisait tourner les lumières de la rue comme une succession de flaques dorées qui se fondaient les unes dans les autres. 

Thomas me rejoignit au bout de quelques minutes à peine. Il se pelotonna contre moi, comme si on avait fait ça toute notre vie. Je refermai mes bras autour de lui. Il soupira d'aise. Je sentais son érection contre ma cuisse. Mon sexe était dur, lui aussi, et je savais qu'il était impossible que mon compagnon ne l'ait pas remarqué. Arrivés là, il était sans doute étrange de ne pas aller plus loin, mais je me sentais bien comme ça et j'avais l'impression que lui aussi. Surtout, je ne voulais pas faire quelque chose que je regretterais le lendemain matin, ou pire, qu'il regretterait.

Je caressais son dos à travers le tee-shirt, dans un mouvement quasi inconscient.Il marmonna quelque chose que je ne compris pas. Peut-être « bonne nuit ». Je ne le lui fis pas répéter. J'embrassai son front, murmurai« gute Nacht » et m'endormis presque immédiatement. 

Le Correspondant inattenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant