Chapitre 8

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Il m'ajouta dans la soirée et vint me parler sur Facebook. Il voulait savoir où j'en étais de ma dissert' sur Dürrenmatt. Quand je lui dis que je l'avais terminée, il me proposa de la relire pour moi. J'acceptai avec gratitude. Voilà que non seulement j'avais un natif qui tombait du ciel pour corriger mon texte, mais, surtout, nous avions un prétexte pour nous reparler, un lien qui se créait.

Petit à petit, on en vint à se parler sur Internet tous les jours. On avait toujours un truc à se raconter, une anecdote à échanger. On s'envoyait des images rigolotes, des conseils de lecture, des vidéos YouTube. Au bout d'un moment, Facebook ne fut plus suffisant et on commença à se parler sur Skype. On pouvait y passer des heures.

Je ne savais pas trop quel était notre statut. Je n'avais jamais passé autant de temps avec quelqu'un. Mais c'était du temps virtuel. C'était troublant. Et il y avait ce baiser sur le quai de la gare. On n'en avait jamais reparlé. Est-ce qu'il considérait qu'on sortait ensemble ? Je n'osais pas lui poser directement la question. Moi-même, je ne savais pas quoi en penser.

* * *

Ça faisait environ deux mois que ça durait quand je reçus un coup de fil inattendu.

« Bonjour, Maël. Oui, c'est Mme Thébaud. Je ne vous ai pas oublié, vous savez... Alors, je vous avais promis une compensation financière, mais c'est un peu compliqué avec le FSE. Ils me disent qu'on ne peut pas faire ça comme ça, vous savez, ça peut pas rentrer dans le budget. Du coup, on a pensé à quelque chose, si ça vous intéresse. Voilà, on voudrait vous inviter à vous joindre au voyage en Allemagne. Tous les frais de transports et visites seraient à la charge du collège, et pour l'hébergement, ma collègue en Allemagne en a parlé à la famille de Thomas et ils seraient ravis de vous accueillir. Pas d'obligation de votre part, bien sûr, mais on a pensé que ça pourrait vous faire plaisir. Tout à fait. Pas du tout un problème ; M. et Mme Dabelstein seraient vraiment heureux que vous veniez. Ils vous sont très reconnaissants de ce que vous avez fait pour Thomas. Bon. Je vous laisse y réfléchir. Ah, oui, les dates... C'est du 27 février au 8 mars. Voilà, une grosse semaine. Bien, bien. Je vous rappelle en fin de semaine. On a besoin de savoir assez vite, vous comprenez, pour réserver les billets, l'organisation... Très bien. Au revoir, Maël. »

Le 27. C'était dans trois semaines. Et accessoirement, c'était l'anniversaire de Thomas. D'habitude, j'étais incapable de retenir les dates d'anniversaire, mais là, c'était resté fixé dans ma mémoire. En même temps, c'était juste deux jours après le mien, pas très difficile à mémoriser. Mais je me rappelais mot pour mot de toute la conversation : « Tu devrais venir en Allemagne, on fêtera nos anniversaires ensemble. »

À l'époque, j'avais balayé ça d'un haussement d'épaules. Ça me semblait une absurdité. Aujourd'hui, c'était une possibilité tout ce qu'il y avait de plus réel. Mme Thébaud avait dit qu'elle me laissait quelques jours pour réfléchir. C'était tout réfléchi. Ça faisait trop longtemps que je me torturais en me demandant ce qu'était exactement cette relation à distance qui ne disait pas son nom. Et on m'offrait sur un plateau l'occasion d'aller voir sur place de quoi il retournait, de découvrir ce que Thomas et moi étions réellement l'un pour l'autre.

Mme Thébaud m'avait envoyé mon billet de train par la poste. Je devais rejoindre le groupe à la gare de Rennes ; eux avaient pris le train à Redon. Je n'étais pas revenu en ces lieux depuis le jour où j'y avais accompagné Thomas. Forcément, être à nouveau sur ce quai raviva en moi les souvenirs de notre baiser. J'avais l'impression d'entendre sa voix à mon oreille, de sentir contre mon bras la pression de sa main.

Je rouvris les yeux. Le train était là. Je me rendis compte que j'étais stressé. Je ne savais toujours pas ce que Thomas attendait de nos retrouvailles. Ni vraiment ce que moi, j'en attendais, en fait. Je savais juste à quel point j'avais envie de le revoir. Et peut-être de le prendre dans mes bras. De l'embrasser. Mais, surtout, de pouvoir parler avec lui sans que sa voix soit déformée par le micro de la webcam, que ses gestes soient saccadés par la connexion imparfaite. D'être avec lui pour de vrai.

Mon cœur battait trop vite, mes mains étaient moites sur la poignée de ma valise. Le train démarra. Il n'y avait plus de retour en arrière possible.

Mme Thébaud m'accueillit avec un large sourire. Je sentais que ça lui faisait sincèrement plaisir que j'aie accepté sa proposition. Officiellement, j'étais un « accompagnateur extérieur » ; c'était comme ça qu'elle avait obtenu que mon voyage soit financé. Dans les faits, personne ne s'attendait à ce que je surveille les gamins. Ils étaient pour la plupart en seconde, avec quelques premières dans le lot. Les terminales, comme Élodie, ne partaient pas. J'en connaissais plusieurs de vue, Malestroit n'étant pas bien grand. Visiblement, ils avaient décidé de m'ignorer et j'en fis de même.

J'étais dans un monde à part. Je ne faisais pas partie de celui des adultes, comme Mme Thébaud et ses collègues, mais je sentais un fossé entre les lycéens et moi. Ils chahutaient, prenaient des photos avec leurs téléphones, parlaient fort. J'avais du mal à ne pas les voir comme des gamins. Bizarrement, je ne ressentais pas du tout ça avec Thomas. Il faut dire que la plupart des élèves qui partaient en Allemagne devaient avoir autour de quinze ou seize ans. Thomas venait d'en avoir dix-huit.

J'avais prévu de me coucher tôt la veille pour être en forme pour le voyage, mais j'avais eu du mal à m'endormir. Ça m'avait permis de lui envoyer un texto à minuit une pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Lui m'avait envoyé une carte, que j'avais reçue deux jours avant. Une reproduction d'un tableau de Georges Lacombe. Ça m'avait fait un drôle de pincement au cœur qu'il s'en souvienne.


Le Correspondant inattenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant