Chapitre 9

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On arriva à la gare de Hambourg à vingt-et-une heures quinze. Thomas m'attendait avec ses parents. Je n'avais pas eu l'intention de lui sauter dessus devant Mme Thébaud et les autres élèves, et je m'étais douté qu'il viendrait avec sa famille. Ça ne m'empêcha pas de regretter qu'on ne puisse pas se retrouver en privé.

Il me donna une brève accolade avant de me présenter ses parents. Je leur serrai la main et ils me demandèrent de les appeler par leurs prénoms, Mona et Hans.

« On habite très près de la gare, on n'a pas pris la voiture. Ça ira pour ton sac ? » me demanda Mona.

Je lui assurai que ça ne me posait pas de problème. Je fis un signe de tête à Mme Thébaud et emboîtai le pas de ma famille d'accueil. Ils habitaient au deuxième étage d'un immeuble qui donnait sur le Binnenalster, un grand bassin artificiel au cœur de la ville. Mona avait prévu pour moi un repas fait de charcuterie et de fromage. Thomas s'installa à la table de la cuisine avec moi. Ses parents avaient déjà mangé et passèrent dans le salon pour regarder la télé. J'étais enfin seul avec lui, même si la porte entre les deux pièces était ouverte.

« Tu m'as manqué, dit-il en français.

— Toi aussi. »

Il serra ma main posée sur la table, et mes yeux tombèrent dans les siens. Tombèrent littéralement, en chute libre, et je n'avais rien à quoi me raccrocher. J'avais oublié à quel point son sourire me bouleversait. Je retournai ma main et nos doigts s'entrecroisèrent. On resta un moment ainsi, sans bouger, sans parler. J'avais chaud, mon cœur cognait trop fort dans ma poitrine.

Je ne faisais jamais attention au physique des gens, j'étais souvent incapable de dire la couleur de leurs yeux ou de leurs cheveux. Je me rendis soudain compte à quel point Thomas était beau, et c'était une révélation presque douloureuse, qui me serrait la gorge et déréglait ma respiration. Une illumination si profonde que les mots sortirent tout seuls de ma bouche :

« Tu es beau. »

Il rit, un peu gêné, un peu amusé, un peu troublé. Flatté aussi, sans doute. Et puis ses yeux se plantèrent à nouveau dans les miens, francs et lumineux.

« Toi aussi, tu sais. »

Trouvant probablement qu'on devenait un peu trop solennels, il ajouta :

« Je n'invite toujours seulement des beaux garçons ici chez moi. »

Je trouvais tellement adorables ses phrases à la syntaxe incertaine que je n'eus même pas envie de singer la jalousie.

On ne resta pas traîner après le repas, car on devait être à son lycée à huit heures le lendemain matin. Je n'avais plus l'habitude de ce genre d'horaires, car mes cours ne commençaient jamais avant dix heures. Thomas m'avait laissé sa chambre et dormait dans le bureau de sa mère, où l'on avait installé un lit de camp.

J'étais à peine couché depuis cinq minutes, à me dire que, cette nuit encore, ce serait dur de trouver le sommeil, quand on gratta à ma porte. Je répondis : « Oui ? » sans élever la voix et la porte s'ouvrit. Il était en pyjama, pantalon gris et veste en coton à carreaux rouges et gris. Comme à mon habitude, je ne portais qu'un caleçon. Je me redressai et m'assis dans le lit. Il referma la porte sans bruit et vint directement à moi. Il s'assit au bord du lit, sans prononcer une parole. Même si j'avais pensé à quelque chose à dire, je n'aurais pas pu tellement ma gorge était sèche. Il tendit la main vers mon visage, effleura doucement ma joue. J'avais arrêté de respirer. Il se pencha vers moi, et nos lèvres se retrouvèrent enfin. Les miennes étaient un peu gercées par le froid et le manque de sommeil. Ça me filait des complexes, mais je compris assez vite qu'il n'allait pas s'arrêter à ce genre de détail.

Sa langue caressa doucement ma lèvre inférieure. J'entrouvris la bouche. Je le goûtai comme on découvre un fruit rare. En dessous du dentifrice qu'il venait d'utiliser, je pouvais percevoir sa saveur unique, son goût à lui. Je découvris qu'être assis ne prémunissait pas du vertige. La chambre semblait tourner autour de moi. Notre baiser durait toujours. Le temps s'était peut-être interrompu. Je touchai à l'éternité. Sa main glissa dans mes cheveux. Il fit tourner une de mes mèches les plus longues autour de son doigt, avant de caresser mon crâne. Un frisson parcourut toute ma colonne vertébrale. Je laissai mes dents effleurer sa lèvre et le sentis frémir. Je passai mes deux bras autour de sa taille et le guidai afin qu'il se rapproche de moi. En douceur, nous basculâmes en arrière. J'étais trop près du mur et le heurtai de la tête. Thomas dut se relever pour me laisser descendre un peu plus loin dans le lit. Cela me permit de reprendre quelque peu mes esprits et de mieux appréhender la situation.

« Et tes parents ?

— Ils dorment. Probablement. T'inquiète pas. »

Je n'avais pas plus que cela envie de m'inquiéter. J'avais attendu ce moment pendant trois mois. Je n'avais même pas envisagé d'aller plus loin. Juste le tenir dans mes bras, contre moi, et l'embrasser encore et encore. Je me rendis compte que ça avait été une idée fixe depuis notre baiser sur le quai de la gare, même si j'avais fait de mon mieux pour l'ignorer.

Le Correspondant inattenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant