II - De l'autre côté du mirroir

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     « Bon sang ! Ça fait six heures qu'on est là ! Vous ne voulez toujours pas répondre ?! »
    Il s'impatientait. Cela faisait des heures qu'il s'évertuait à soutirer des informations à l'homme mais rien n'y faisait: il n'était qu'un novice en matière d'interrogatoire tandis que le mystérieux individu paraissait en connaitre toutes les tactiques. Ses collègues plus aguerris l'avaient prévenu: le détenu était l'un des flics les plus redoutés de l'état de Washington. Son regard bleu métallique perçant, sa façon de se moquer de lui en arquant légèrement la bouche sur le côté, et son air taciturne le mettaient de plus en plus mal à l'aise. L'homme attendait, assis à son aise sur la chaise de métal, les bras croisés sur la poitrine et regardant le vide. Il était déstabilisant.
    « Racontez moi ! Racontez moi comment vous avez tué cet homme agent Gibbs. »
    L'homme ne cilla pas.
    « Il était tard, c'est ça ? Vous mourriez d'impatience de finir votre planque. La fatigue vous envahissait et quand ce pauvre homme est arrivé sur le parking, vous avez appuyé sur la détente sans plus réfléchir, c'est ça ?! »
    À nouveau, Gibbs le laissa parler dans le vide. Il ne brisa pas son silence. Exaspéré, le jeune flic usa de l'une de ses dernières cartes, regrettant de devoir tomber si bas:
    « Votre collègue s'impatientait elle aussi. D'ailleurs c'est juste une collègue ou votre petite amie ? Vous avez l'air très proche tous les deux. »
    Cette fois ci, Gibbs décocha un imperceptible froncement de sourcils suivit d'un sourire très léger certes, mais suffisamment visible pour que l'autre flic s'en aperçoive. Ce dernier se félicita de sa victoire. Bien qu'insignifiante, elle lui fit néanmoins recouvrer sa patience et l'incita à continuer. Après tout, on le lui avait souvent dit, il avait l'art de déceler les changements d'humeur chez les gens. Il miserait donc sur ça le restant de son interrogatoire.
    « Agent Gibbs ? Que c'est-il passé ? Je ne demande qu'à vous croire. Vous êtes l'une des figures de cette institution. Je pense que vous n'avez pas tiré sur cet homme sans raison. Vous vous êtes sentit en danger et c'était un cas de légitime défense n'est-ce pas ? Agent Gibbs ? »

48 h plus tôt...

    « Vous en voulez ? »
Gibbs tendait un sandwich à Sloane assise côté passager dans la voiture.
    « Volontiers ! »
    Cela faisait 4h qu'ils prenaient racine dans cette vieille voiture à force d'espérer la venue de leur suspect sur un parking désert. La neige tombait à gros flocons et recouvrait désormais la majeure partie du pare-brise de la jeep. La température était glaciale: les journaux l'avaient annoncé plus tôt dans la journée, Washington connaissait une vague de froid sans précédent. La température la plus basse irait jusqu'à -15º C. Les bourrasques de neige glaciales qui s'abattaient au dehors s'engouffraient en sifflant dans chaque brèche de la voiture et faisaient descendre la température de plus degrés encore.
    Dans le silence de l'habitacle, Sloane commençait sérieusement à se poser des questions sur la fiabilité des infos de leur contact. Personne ne semblait s'être déplacé sur le terrain depuis une bonne dizaine d'années.
    Alors qu'ils avaient perdu espoir, un bruit retint l'attention des deux coéquipiers: un grondement de moteur qui semblait provenir de l'entrée du parking. Gibbs fut le premier à faire glisser sa ceinture derrière son épaule et à dégrafer son holster. Sa main se posa enfin sur son Berretta. Le contact rassurant de l'arme sous sa main parvint à réduire l'anxiété qui l'avait gagné quelques secondes auparavant. Sloane, elle aussi, paraissait s'être mise en état d'alerte. Les sens exacerbés, elle s'était redressée sur son siège et semblait attendre ses instructions, scrutant intensément l'obscurité du parking. Gibbs mima silencieusement une série de gestes. Ils devraient prendre leurs lampes et fouiller discrètement le parking. Ils sortirent de la jeep en fermant les portes le plus doucement possible. Après quelques foulées dans la neige, Gibbs croisa ses bras en plaçant son arme sous sa torche électrique. Sloane fit de même.
    Ils arpentèrent le parking à la lueur de leur torches, leur souffle glacé formant des volutes de condensation devant eux. Le terrain était désert. Seules les voitures abandonnées des mois plus tôt sur le parking le faisait paraître encore en activité - toute relative néanmoins car la nature avait repris ses droits.
    Les deux coéquipiers s'affairaient à leur tâche sans broncher. Pas de contact visuel, pas de paroles prononcées entre eux; dans le noir quasi total, l'unique signe qu'ils avaient de l'autre était le crissement régulier des pas sur la neige.
     Après quelques minutes de fouille, ils durent se rendre à l'évidence: le parking était irrémédiablement désert. C'était à rien n'y comprendre. Plus aucune trace de la voiture qu'ils avaient tous les deux entendu.
    Soudain une silhouette se profila dans le faisceau de leur torche. Un homme apparu et Gibbs sentit Sloane se crisper.
    « NCIS, cria-t-il, nous sommes des agents fédéraux. Gardez vos mains en évidence et tout se passera bien ! »
Le bruit des rafales incessantes du blizzard couvrait sa voix et ce ne fut que des sons gutturaux qui atteignirent les oreilles de l'interpellé. Celui-ci, ostensiblement menaçant, dégaina nerveusement une arme en la pointant tour à tour sur Gibbs et sur Sloane.
    « Gibbs, lui murmura Sloane, c'est Fahir, le frère de Nigel Hackim ! »
    Alerté, Gibbs plissa les yeux, tentant de mieux discerner l'homme à une quinzaine de mètres de lui. En déplaçant sa torche vers l'inconnu, il put en éclairer un peu plus le visage. Il se figea lorsqu'il reconnu à son tour Fahir.
     « Jack, la prévînt-il, je sais ce que vous pensez, j'ai vécu la même chose mais surtout ne vous laissez pas emporter par votre colère. Ravalez-la ! N'oubliez pas qu'il ne s'agit que de son frère et qu'il n'est pas directement responsable de ce qui vous est arrivé.
    - Il était présent quand Nigel à abattu les Wingos, il était là quand son frère nous torturait ! Il était toujours là, Gibbs, et il n'a rien fait parce qu'il soutenait les actes de son frère !
    - Jack, l'abattre serait la plus grave erreur de votre vie !
    - Ne me dites pas ce que j'ai à faire !
    - Si justement, parce que vous êtes ma coéquipière, parce que vous ne pouvez pas gâcher votre vie pour ça ! Parce que j'ai déjà fait l'erreur et que je le regrette chaque jour un peu plus !
    - Nous n'avons pas vécu la même chose !!! », hurla-t-elle avec une rage d'une rare intensité.
    Un rage telle que Gibbs n'en avait jamais vu chez Sloane. Un sombre côté d'elle émergeait; celui marqué par la torture.
    « Jack !!! Shanon et Kelly sont mortes ! Les Wingos sont morts ! Le tuer ne va pas les ramener ! Est-ce que vous vous rendez compte que vous êtes en train de vous détruire !!? »
    Sloane ôta le cran de sécurité de son arme.
    « Jack !!! »
    Elle chargea son Beretta; ses traits étaient déformés par la haine. En face, Fahir s'aperçut du mouvement et plaça la tête de la femme dans sa ligne de mire. Il se mouvait avec un calme surprenant. La force du blizzard semblait n'avoir aucun effet sur lui, elle ne déviait pas d'un centimètre le bras tenant l'arme, elle semblait être inexistante.
    « Jack !!? »
    À côté, la situation laissait Gibbs de plus en plus indécis. Il fallait réfléchir vite, agir vite, pour éviter de faire tourner cette belle nuit de 6 décembre en massacre sanglant. Pour éviter un nouveau drame.
    Gibbs chargea à son tour son arme. Les pieds calés dans la neige, les jambes légèrement fléchies et les bras tendu en une position de tir parfaite.
    « Jack ! Ne vous laissez pas aveugler par la colère ! En tirant vous condamnez votre vie ! »
    Sloane ne réagit toujours pas, préférant employer toute son attention pour annihiler les responsables dans le meurtre de ses frères d'arme, pour détruire celui qui l'avait torturé. Gibbs voulait l'en empêcher, elle lui montrerait que rien ne pouvait l'arrêter.
    « Jack, je vous préviens je vais tirer avant que vous ne le fassiez. Je vais tirer pour que vous puissiez vivre votre vie comme j'aurai dû la vivre il y a vingt ans !
    - Rien ne me privera de cette vengeance cette fois-ci ! Ni vous n'y personne !!!
    - Si ! Moi j'y arriverai !!!
    - Gibbs !
    - Jack !!! »

    En face, l'homme appuya sur la détente. Un coup de feu partit, un autre intensifia la rumeur assourdissante du précédent. Un corps tomba à terre, maculant la neige éclatante de tâches et de traînées écarlates. Deux douilles, espacées de vingt mètres, roulèrent en même temps sur le sol puis furent recouvertes par les flocons. Deux événements qui allaient plonger l'état fédéral de Washington dans un enfer juridique et médiatique.
    Un enfer contre deux balles...

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