III - Quatre jours..., juste... quatre jours.

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Samedi 26 juin, 7h15.
    Gibbs entra sans prévenir dans le bureau du directeur Vance.
    « Léon il faut... »
    Vance le coupa immédiatement et lui fait signe de se taire, un index sur les lèvres. Il désigna d'un geste la porte grande ouverte et s'avança en silence pour aller la fermer.
Une fois cela fait, il sembla se détendre, un peu, et annonça à voix basse en retournant derrière son bureau :
     « Inutile de me m'expliquer pour quelle raison vous êtes là. »
    Il s'assit dans son fauteuil et déclara d'un air grave:
    « Je viens d'avoir le directeur du FBI. Ils veulent reprendre l'affaire... J'ai donné la permission de la leur laisser....
    - Vous ne pouvez pas !, s'exclama Gibbs.
    - ... dans une semaine. Le temps de faire... ce qui est nécessaire.
    - Bien sûr, nota Gibbs, sarcastique, d'abord me faire suivre, puis arrêter une amie connue depuis plus de dix ans. Tout cela sans rien lui dire. Et nous voilà, tout les deux, à prendre des décisions qui vont profondément impacter sa vie. Vous ne pensez pas qu'elle a son mot à dire ? »
    Vance répliqua, le visage rembruni :
    « Jack me connait très bien, sans doute mieux que moi-même. Elle me comprend mieux que personne.
    - Vous pensez qu'elle a compris cette fois-ci ?
    - Je l'espère en tout cas... »
    La voix de Vance ne fut plus qu'un chuchotement. Reprenant tout son sérieux, il se pencha vers Gibbs.
    « Jack risque la peine capitale pour haute trahison et le FBI refuse de lui accorder la protection de témoin en échange d'informations sur ce groupe terroriste. Partout où qu'elle aille aux États-Unis, elle sera traquée et retrouvée. Il n'y a qu'un moyen de garantir sa sécurité une bonne fois pour toute...
    - La faire sortir du pays.
    - Elle et moi avons gardé d'anciens contacts du temps où nous étions dans l'armée. Nous nous sommes mis d'accord pour la faire passer vers le Mexique.
    - Combien de temps avons nous ?
    - Une semaine tout au plus. Le FBI ne sait pas encore qu'elle est dans nos locaux mais dès que l'information fuitera, elle n'aura guère plus qu'un ou deux jours pour s'en aller. Vous avez un endroit où l'abriter en attendant ?
    - Je pensait à chez moi. Cela paraît trop évident pour qu'ils aient l'idée d'aller voir là-bas.
    - Vous êtes bien sûr de vous ?
    - Certain. »
    Alors Vance donna son accord. Il soupira et mâcha nerveusement son pic en bois, réfléchissant un instant, le regard tourné vers le ciel menaçant à l'extérieur.
    « Je vais me débrouiller pour la faire sortir du bâtiment.
    - Je peux m'en occuper.
    - Tres bien. »
    L'orage éclata et les surpris tout les deux, comme pour marquer la fin de leur discussion.
    Vance se leva et alla ouvrir la porte. Il afficha un air professionnel et invita Gibbs à sortir, comme si leur conversation et tout ce qu'elle impliquait n'avait pas eut lieux. Avant que ce dernier ne passe complètement le pas de la porte, il lui glissa, autant comme une mise en garde que comme un conseil bienveillant :
    « Prenez bien soin de vous deux. »

Lundi 28 juin, 19h00.
    Sloane enclencha le bouton on de l'appareil et changea de fréquence jusqu'à établir un son net. Elle tomba sur une chaîne de musique et choisi d'y rester.
    Elle se retourna et observa le bateau. La musique posée aux sonorités de jazz montait petit à petit de la vieille radio et se mariait parfaitement à l'atmosphère de la pièce. La lumière douce provenant des appliques sur les murs et sur l'établi éclairait le bateau et faisait ressortir le cachet du bois. Elle se sentait bien ici, protégée et sereine, pensa-t-elle.
    Puis Jack entendit des grincements derrière elle et jeta un coup d'œil: Jethro descendait lentement les escaliers en bois, deux coupes dans une main, une bouteille de vin dans l'autre. Il s'approcha ensuite d'elle silencieusement.
    « Un grand cru. Je me suis souvenu qu'il m'en restait un...
    - Tu bois du vin maintenant ?
    - ...pour des occasions spéciales.
    - Je suis arrivée samedi, et nous avons passé toute la journée d'hier ensemble. Tu ne crois pas qu'on aurait pu l'ouvrir un peu plus tôt ?
    - Hier il pleuvait, aujourd'hui le ciel est dégagé et on peut voir les étoiles.
    - Vraiment ?
    - Vraiment. »
    Elle lui sourit alors qu'il lui tendait l'un des verres et le remplissait. Après s'être servi lui aussi, il leva sa coupe et trinqua avec elle.
    « À cette magnifique soirée », dit-il.
Sloane eut un sourire approbateur.
    - À cette magnifique soirée, déclamèrent-ils à l'unisson. »
    Il burent chacun un gorgée puis posèrent leur verre sur le rebord de la coque du bateau. Le bois était encore nu, non verni, et il manquait encore des pièces par endroits mais Gibbs aimait à le répéter: le chantier toucherait bientôt à sa fin. Il ne savait pas vraiment, tout compte fait, si cette nouvelle ne le rendait pas plutôt mélancolique; l'achèvement de ce chantier qui avait pris tant années comme le symbole d'une page qui se tournait, ou si au contraire elle marquait le début d'une nouvelle, encore vierge, qui restait à écrire. À deux.
    Jack passa ses doigts sur le bois rugueux du bateau.
    « Il faut encore poncer les imperfections, lui expliqua Gibbs, et aussi retirer quelques centimètres d'épaisseur de bois par endroits. »
    Jack hocha la tête, silencieuse, continuant à observer le contact du bois contre sa main.
    « Je peux te montrer si tu veux. »
    Cette fois ci, Gibbs avait réussi à ramener son attention à lui. Elle tourna la tête vers lui et fit signe que ça la tentait.
    « Très bien. »
     Gibbs prit un outil sur l'établi et le lui mit correctement entre les mains. Long, fin, de la forme d'une lime, l'objet s'appelait une râpe à bois lui apprit-il.
    « Tu ne vas quand même pas m'apprendre à me servir d'une râpe. Tu sais... je pense que je peux me débrouiller, ironisa Sloane.
    - Ce n'est pas une râpe comme les autres. Il y a un geste précis à avoir ou sinon tu risque d'abîmer le bois. Et comme c'est mon bateau...
    - Très bien, très bien. Je t'en prie, montre-moi. »
   Gibbs s'exécuta. Il lui demanda de s'approcher de la pièce en bois dont ils allaient s'occuper puis se mis dans son dos et passa un bras de chaque côté d'elle, d'abord pour lui montrer.
    « Tu vois, lui expliqua-t-il à voix basse à l'oreille, en menuiserie, on appelle ça le corroyage. On l'utilise pour amener une pièce aux dimensions voulues, dans notre cas, à la même dimension que ces autres planches là. »
    Il lui indiqua de la tête les planches de bois déjà installées sur l'armature de la coque.
    « Ensuite, continua-t-il alors qu'il se rapprochait toujours plus d'elle et à mesure que l'intensité de sa voix faiblissait jusqu'au murmure, la position est très importante. »
    Il prit ses mains dans les siennes et les plaça sur l'outil.
    « La main droite tient le manche et la gauche l'extrémité de la lame. On pousse de la main droite en appuyant et en guidant de la main gauche.
    - Comme ça ?, demanda Sloane.
    - Oui, comme ça. Attention. Si tu appuies trop sur l'outil tu risques de le bloquer dans le bois. Il faut appuyer modérément.
    - Et là ?
    - Parfait. Continue comme ça. »
    Il embrassa sa nuque et remonta vers son oreille. Il y déposa un baiser puis murmura quelques mots. Sloane rit un instant et le questionna, sans éclat de voix, avec la même douceur que lui:
    « Tes leçons se déroulent toujours comme ça ?
    Sloane sourit, Gibbs aussi, sans répondre. Et il s'embrassèrent.
    « Tu vas me faire rater mon geste.
    - Et si ça attendait ? »

The ElephantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant