V - La voix de la raison

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    « Je suis atterré !!! »
    Gibbs se retourna, dos au mur sur lequel il avait, un instant plus tôt, appuyé ses mains. Il regarda son interlocuteur.
    « Ah ! Vous voulez qu'on reprenne notre petite discussion ici ou nous allons enfin choisir une salle de réunion digne de ce nom », ironisa-t-il.
    Johnson reprit:
    « Je suis atterré par votre stupidité !
    - Le client n'est-il pas censé être toujours roi et jamais contrarié ?
    -Pas quand il fait preuve d'une imbécilité aussi immense que la votre, et je pèse mes mots !
    - Eh, oh ! Vous n'y allez pas un peu fort quand même ?
    - Je dirais plutôt que j'y vais avec des pincettes. »
    Gibbs soupira, Johnson aussi, faisant redescendre d'un cran la tension dans la pièce. Johnson s'assura que toute les toilettes étaient bien inoccupées avant de continuer:
    « Sincèrement, qu'est ce qui vous est passé par la tête ?! Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ?
    - Je suis agent fédéral, pas psychologue. Alors oui, déchiffrer les pensées des gens ne fait pas parti de mes compétences !
    - Décidément, vous êtes un super flic mais vous avez de la merde dans les yeux !
    - Soyez poli tout de même.
    - Oh vous savez, par moment la politesse ne suffit plus et il faut employer un vocabulaire plus percutant.
    - Vous m'en direz tant...
    - J'ai pu m'en rendre compte de mes propres yeux ! Jusqu'au moment où elle est venue témoigner, elle ne vous a pas lâché du regard. J'avais bâtit toute notre stratégie sur son témoignage ! Toute ! Vous saisissez ?! Et voilà qu'elle est discréditée pour manque d'objectivité ! C'était essentiel de me le dire ! On aurait pu éviter ce raz-de-marée. Au lieu de ça, on est dans la mouise jusqu'au coup et je suis prêt à vous pariez que tous les jurés, tous sans exception, sont désormais favorable à l'accusation ! Le procès était déjà un casse-tête mais là vous venez de faire passer votre chance de sortir libre de " possible " à " hautement improbable " ! Je... »
    « Re-b'jour »
    Johnson s'interrompit brusquement. Le même homme ventripotent, aux ridicules petites lunettes rouges était arrivé au toilettes. Les deux hommes lui répondirent en cœur, agacés:
    « Re-Bonjour.
    - Ça va ?, demanda Lunettes Rouges.
    - Ça va. , lui assurèrent-ils, des couteaux à la place des yeux.
    - Moi, j'demandais ça... j'voulais d'mal à personne. »
    Devant le regard assassin de ses interlocuteurs, Lunettes Rouges se réfugia dans ses toilettes fétiches et soulagea bruyamment sa vessie.
    Johnson reprit à voix basse.
    « Vous pouvez m'expliquer pour quelle raison vous ne me l'avez pas dit ? »
    Gibbs ne répondit pas. Son regard était fuyant. Il baissa la tête.
    « Vous l'avez vu, forcément. Alors quoi ? Qu'est-ce que cette femme a pu éveiller en vous qui vaille de ne pas m'en parler ? Ou alors vous ne vouliez pas le voir... »
    Johnson savait tâter là où cela faisait mal. Il continuait dans son petit jeu, essayant de deviner ce qui taraudait son client. Comme on le lui avait apprit à l'école de droit: pénétrer petit à petit dans les entrailles de son adversaire puis frapper au point le plus faible. Pour briser toute résistance.
    L'avocat poursuivit, il venait soudain de voir clair dans le jeu de son client.
    « Vous aimez cette femme, n'est-ce pas ? Mais pour une raison ou pour une autre vous n'osez pas avancer. Vous avez peur, soit de vous attacher à quelqu'un, soit de faire échouer votre couple, ou peut-être même est-ce les deux. Vous avez donc choisi de faire semblant, jusqu'à ne voir plus qu'une vision erronée de la réalité. C'est cela, Gibbs ? »
    Il fallait avouer que l'avocat avait fait fort. Il avait percé à jour ce que Gibbs avait mis des mois à comprendre lui même, n'étant vraiment pas doué pour l'introspection. 
    « Vous avez abattu quelqu'un de sang froid mais vous n'avez pas assez de cran pour avouer vos sentiments à cette femme. Décidément, quelque chose ne tourne pas rond chez vous...  »
    L'avocat se retourna, prêt à partir élaborer une nouvelle stratégie avant la reprise du procès mais Gibbs le retint par le bras :
    « Craig, attendez. »
    L'homme le dévisagea.
    « Je...
    - Je me fiche de ce que vous allez dire ! On va remporter ce procès non pas pour vous mais pour Sloane. C'est pour elle que j'ai accepté de vous défendre. Donc maintenant vous allez bien sagement rentrer chez vous et si jamais une autre info comme celle-là vous vient à l'esprit, surtout ne vous gênez pas: appelez-moi ! Ah ! Et par pitié, allez la voir et dites-lui, parce que là, sans vouloir vous inquiéter, vous êtes pitoyable ! »
    Une chasse d'eau fut tirée.
    « Tout à fait, allez la voir parce que vous êtes vraiment lamentable » C'était Lunettes Rouges. Il venait de sortir de ses cabinets. À peine avait-il finit sa phrase que Gibbs riposta, vexé:
    « Eh oh ça va, je vous en prie, ne vous gênez pas !
    - Moi j'disais ça..., j'disais rien... »
    Johnson et l'hurluberlu sortirent ensemble des toilettes, laissant Gibbs seul. Il se pencha au dessus d'un lavabo et se regarda dans le miroir. Son teint était blafard, ses traits: tirés, et ses yeux ne reflétaient plus que son appréhension maladive pour les relations. Mais comment présenter ses sentiments à une femme dont on avait bafoué le passé, les sentiments, la dignité ? Comment racheter son pardon après avoir délibérément commis un impair de la sorte ? Et pendant qu'il se répétait sans cesse les mêmes interrogations, il se laissait envahir par un immense sentiment d'échec.
    Oui, vraiment, il était lamentable.

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