III - Au banc des accusés

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    « Dans le procès pour homicide qui oppose l'État de Washington au dénommé Leroy Jethro Gibbs, je déclare l'audience ouverte. Accusé que souhaitez vous plaider ?
    -Non coupable. »

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    « Craig Johnson, enchanté
     -Jethro Gibbs », le salua l'agent.
L'homme qui se présentait à lui allait être son avocat durant la totalité du procès. Assez grand, bel homme, au port altier transpirant à la fois d'assurance et d'arrogance et aux airs bourgeois dans son costume sur-mesure bleu, le quinquagénaire était l'archétype parfait de l'hypocrite vaniteux. Il se déplaçait d'un pas leste et mesuré. Quand bien même cet homme, avec toutes ses bonnes manières, n'en restait pas moins un homme usé par l'existence, l'esprit aigri et les traits tirés par les malheurs dont la vie l'avait accablé.
    Johnson posa une mallette de cuir de bonne facture sur la table centrale de l'une des grandes salles de réunions du tribunal. Il alluma ensuite la lampe d'appoint qui trônait sur l'imposante commode au fond de la pièce. La lampe grésilla un instant puis répandit une lumière douce et tremblotante. Le faible halo lumineux procura une atmosphère chaleureuse à la pièce et donna une tout autre impression à Gibbs. Il se sentait enfin apaisé après la longue nuit qu'il venait de passer à parler sous la lumière crue des néons, en salle d'interrogatoire.
    « Asseyez-vous », lui intima Johnson après qu'il eut pris place dans un immense fauteuil - lui aussi en cuir véritable.
    Gibbs ne se fit pas prier: il s'assit dans le premier siège qu'il vit.
    Durant les minutes qui suivirent, Johnson lui expliqua le plus diplomatiquement possible les charges qui pesaient contre lui, s'il avait une chance de remporter le procès, et enfin, s'il avait quoi que se soit d'autre à ajouter, des antécédents quelconques, afin d'éviter les mauvaises surprises.
     Gibbs repensa quelques secondes à un dénommé Pedro Hernandez. Cette bavure trente ans plus tôt risquait d'entacher sa réputation. Il ne pouvait dévoiler cette partie de son existence à son avocat même si celui-ci était tenu par le secret professionnel. Mieux les gens ignoraient ce sombre côté de lui, plus il avait de chance de faire perdurer cette tranquillité d'apparat. Pourtant, une menace le guetterait toujours, semblable à une épée de Damocles au-dessus de la tête.
    Gibbs nia avoir tout antécédent à dévoiler. Johnson ne s'attarda pas sur la question et passa directement au sujet suivant. D'un doigt, il feuilletait un document aux pages usées, couvertes de mots raturés et griffonnés. L'avocat s'aperçut que son client le dévisageait d'un drôle d'air et poussa un soupir en amenant le document vers Gibbs pour le lui présenter.
    « Il s'agit de toutes les notes, de toutes les observations que j'ai prises pour la stratégie de ce procès depuis que votre charmante collègue m'a tiré la nuit dernière d'un merveilleux sommeil dans lequel les fous, les tueurs, les terroristes et les guerres n'existaient pas. Évidemment, la réalité m'a brusquement rattrapée. Ce document contient peut-être la clef de votre liberté c'est pourquoi il est précieusement gardé dans ma mallette. »
    Gibbs hocha pensivement la tête tandis qu'une question lui vrillait la tête depuis la veille.
    « Craig, concrètement, comment vais-je m'en sortir ? »
    Johnson l'étudia un moment du regard.
    « Vous êtes plutôt du genre direct vous... Tant mieux, la communication en sera d'autant plus facilitée. Nous allons donc demander à ce que votre tir soit considéré comme un acte de légitime défense et que vous soyez acquitté de toutes les peines qui pèsent contre vous. Mais pour répondre à votre question..., je dirai que l'unique stratégie que nous ayons est celle de montrer que vous êtes un homme droit et fiable tandis que l'homme que vous avez abattu est un terroriste, doublé d'un tortionnaire et... que c'est lui qui a tiré le premier. »
    Johnson s'interrompit sous l'œil dubitatif de son client.
    « Pour être franc nous allons sans nul doute nous casser les dents sur ce procès. La marge de manœuvre est quasi inexistante et tout se résumera à savoir qui a tiré le premier. Et puisque personne n'a de preuves à l'appui, tout va se jouer sur un seul point: qui est le gentil... et qui est le méchant.
    -Je ne crois pas au bien et au mal.
    -Moi non plus vous dirais-je seulement dans une cour, ce n'est pas ce que l'on pense qui importe, c'est ce que l'on dit. »
     Gibbs n'aimait pas cela. Son avocat venait ouvertement d'avouer que l'hypocrisie était de mise dans la justice et dans les hautes sphères de la société. Le flic se perdit dans ses pensées quand une question qu'il avait laissé en suspense dans son esprit resurgit:
    « Pourquoi faire tout cela pour moi ?
    -Pour votre amie Sloane, je lui devait un service. Elle a insisté pour que ce soit moi qui vous représente.
    -Le service qu'elle vous a rendu était donc si important pour que vous vous risquiez dans ce genre de procès épineux ?
    -C'était il y a longtemps mais je ne l'ai jamais oublié. Elle a, en quelque sorte, détourné les yeux un moment le temps que je me ressaisisse. Elle a préféré suivre ce que lui dictait son cœur plutôt que d'obéir à une loi qui n'a parfois pas réponse à tout. Vous voyez ce que je veux dire ?
    -D'une certaine manière, oui.
    -C'est une belle personne. Vous avez de la chance. »
    Cette dernière phrase résonna dans la pièce et laissa Gibbs absent, perdu dans les limbes de son esprit, une chaleur naissante au creux du cœur.

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