Prologue

3.1K 88 37
                                    

Je pense que chaque histoire mène au même but. J'en suis carrément certaine. La seule et grande différence, c'est que chacune se déroule de manière différente. J'aurais sûrement aimé avoir une facilité à vivre les choses, à bien vivre le quotidien, à savoir gérer mes émotions, et tout le reste de conneries que je ne peux pas réussir d'habitude. J'aurais apprécié connaître la sensation de ne pas se vexer au moindre mot et de ne pas se sentir rejetée au moindre acte de mes proches. Ils appellent ça l'hypersensibilité, j'appelle ça mon poison.

Le genre de venin qui se propage partout. Dans ton corps, dans ta tête, pour finir par ne plus quitter tes pensées. J'ai longtemps attendu avant de mettre des mots sur tout ça. Je le traînais juste sur mes épaules, et il me rappelait très souvent qu'il était toujours là. Est-ce que j'ai appris à vivre avec au quotidien ? Non. Je m'y suis juste habituée. Et il a bien fallu un jour que je m'y fasse, surtout à l'aube du lycée et de la dernière ligne droite avant la vie d'adulte. Tout un tas de changements dont je me serais bien passée, surtout depuis que j'ai appris que nous déménagions à Granby, une ville à l'ouest de Montréal. Au Canada... Parmi toutes les villes du monde entier, il a fallu que nous partions à plus de cinq mille kilomètres de notre maison. Pourquoi devions-nous tout quitter à Paris ? Je sais que ce n'était pas un choix facile, mais c'était quand même égoïste de nous imposer ça.

Pourtant, je ne me suis pas franchement opposée à ce départ - ce qui a quand même inquiété mes parents -, mais en apprenant la nouvelle, le poids sur mes épaules s'était soudainement allégé. J'avais, au fond de moi, l'intime espoir que c'était enfin l'heure du renouveau. Après tout, je ne laissais pas grand-chose à Paris, hormis ma collection de papeterie Diddl de primaire, et mes livres d'enfance. Mais malgré tout, j'ai peur. Effrayée à l'idée de devoir revivre les mauvaises expériences que j'ai connu.

— Eden, tu donnes la main à ta sœur, s'il te plaît, ordonne ma mère d'un ton calme.

Je me tourne vers mon petit frère. Du haut de ses six ans, il est tout excité à l'idée de déménager de l'autre côté de l'Atlantique. Il ne tient pas en place et n'arrête pas de sourire alors que nos parents sont en pleine crise. Nous sommes légèrement en retard, et la tonne de valises que nous avons à enregistrer ne les rassure absolument pas.

— Marc, tu ne veux pas m'aider ? Je porte tout toute seule, c'est insupportable ! rouspète maman.

— Bien sûr, ma chérie, attends, je t'en prends deux et je les mets sur mon chariot, répond mon père d'un ton doux.

Papa ne s'énerve jamais. Il fait toujours en sorte que les choses aillent bien, même quand notre mère est de mauvaise humeur. C'est-à-dire beaucoup trop souvent. Et pourtant, c'est le premier à se plier en quatre pour que l'on soit heureux. Je ne lui dis presque jamais, mais je l'aime tellement.

— Les enfants, on accélère un peu, l'avion va bientôt décoller, lance notre mère en empoignant Eden par le bras.

Je soupire et tente de les suivre dans l'immense aéroport qu'est Roissy-Charles De Gaulle. Une petite voix dans ma tête m'incite à ralentir afin de rater notre vol, mais je me ravise et rattrape mon père qui se trouve quelques mètres devant. Ils sont tellement préoccupés par notre départ qu'ils seraient capables de m'oublier ici. Et malheureusement, je n'aurais personne. Pas une amie, pas une cousine ou une grand-mère, rien. Alors je cours jusqu'à la porte d'embarquement, et nous sommes les derniers à franchir le petit couloir qui mène à l'avion.

Ce n'est que lorsque je m'attache entre mon frère et ma mère que je prends conscience que je quitte Paris. Ma ville natale, celle où j'ai toujours grandi et tout vécu. Une petite pointe de tristesse se niche au creux de mon ventre, mais je sais que ce que j'ai connu ici ne me manquera pas. Et comme me l'a dit papa, le Canada est une terre où la vie est belle. Peut-être que le grand Nord blanc saura m'accueillir comme je l'espère, sinon, je risque d'être vite désemparée.

Neptune [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant