Chapitre 19

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L'air ambiant était pollué par la fumée sortant du capot d'échappement tremblotant des voitures. A la file indienne, côte à côte, d'innombrables véhicules s'étalaient sur le bitume brûlant, étouffés dans une épaisse brume de gazole.

Coincé au milieu des automobiles, la combi jaune canari ronronnait, avançant à la vitesse d'un escargot. Sa carrosserie luisait sous le soleil ardent qui plombait l'autoroute embouteillée. A l'intérieur de celle-ci, la chaleur oppressante avait recouvert Humphrey, Andreas et Adel d'une épaisse couche de moiteur.

Le jeune homme fixait un point vague à l'horizon ondulée, une expression d'ennui sur son visage perlé de sueur. Le cinquantenaire, lui, soufflait d'exaspération, rouspétant dans sa barbe. Rouge comme une écrevisse, il avait le plus grand mal à supporter la chaleur ambiante. Adel, elle, restait étrangement calme et muette. Elle contemplait pensivement le spectacle qui se déroulait sous ses yeux.

Les centaines de voitures étaient en arrêt sur l'autoroute de la vie, représentant des fragments d'humanité. Ses prunelles émeraudes se baladaient de véhicule en véhicule, observant ses passagers, imaginant leur histoire. A gauche du van, une Punto rouge flamboyante roulait au ralenti. Au volant de celle-ci, une petite grand-mère attendait patiemment. Ridée par le temps, la vieille femme arborait pourtant un sourire juvénile. Alors qu'elle bougeait la tête en rythme, sa main droite triturait l'alliance glissée sur son annulaire gauche. Les yeux d'Adel se remplir de compassion. Elle eut un pincement au cœur en imaginant la sensation de perdre la personne qui comblait sa vie d'amour.

De l'autre côté, un trentenaire tapait furieusement sur le volant de sa Kangoo familiale, ce qui fit rire Adel. La jeune femme distingua les cris de l'homme au fort accent du Sud. Sa compagne tentait tant bien que mal de contenir la colère de son mari tandis que leurs enfants à l'arrière étaient plongés dans leur occupation, ne prêtant aucune attention à leur père. La petite fille, dont le visage était dissimulé par d'épaisses lunettes, lisait avec sérieux son bouquin, pas le moins du monde perturbée par les cris. A côté d'elle, sa grande sœur, un casque sur les oreilles, souriait béatement, ses yeux scrutant l'écran lumineux de son téléphone. La jeune femme connaissait cette expression sur son visage. C'était clairement de l'amour, celui naïf de l'adolescence qu'Adel avait déjà ressentit autrefois. Son petit frère, lui, s'esclaffait en collant son visage contre la vitre.

Après quelques instants, de nouvelles voitures se trouvèrent sur les côtés du van. A l'avant d'une mini Fiat, un couple de deux hommes était plongé dans une fascinante conversation. Ils se tenaient tendrement la main et leur regard de merlan frit exprimait tout l'amour qu'ils ressentaient à l'égard de l'autre. Adel esquissa un sourire attendri en admirant les deux tourtereaux.

Une femme serrait avec anxiété le volant de sa Mercedes. Une aura de stress semblait l'entourer. Elle regardait sans cesse le cadran de sa montre tout en bougeant frénétiquement sa jambe. La trentenaire, portait un costume de tailleur chic et ses cheveux, relevés en chignon, étaient plaqués à la perfection. Pourtant, de gros cernes cerclaient ses yeux injectés de sang, elle semblait exténuée. Les yeux d'Adel se ternirent de compassion pour cette femme coincée dans ces bouchons, alors qu'elle devait sûrement avoir un rendez-vous important. Le poids de la vie d'adulte pesait sur elle, tel un fardeau éreintant.

Une longue et ennuyeuse heure passa dans cet embouteillage infernal, où les secondes était devenues des minutes, où le sablier du temps avait freiné sa course effrénée. La libération sonna les douze coups de midi et les vies entassées sur cette route de béton purent se disperser sur des chemins divers.

Le petit groupe atteignit enfin leur destination ; Carthagène. Malgré la chaleur ambiante, ils se sentirent obliger d'arpenter les dédales de rues de cette ville imprégnée par l'Histoire romaine. Ils foulèrent de leur pas les gradins de roche du célèbre théâtre de Carthago Nova.

– Le théâtre romain de Carthago Nova est un théâtre de l'époque romaine qui a été construit entre Ve et Ier siècle avant Jésus-Christ, sous le règne de l'empereur Auguste dans la cité de Carthago Nova. Il avait la capacité d'accueillir jusqu'à 7 000 personnes et a été en usage continu jusqu'au IIIᵉ siècle après Jésus-Christ. Cet édifice de spectacle est parmi les plus grands et les plus richement décorés de l'Hispanie romaine, lut Andreas en plissant des yeux, ébloui par la pancarte blanche.

Tous trois admirèrent les gradins disposés en un demi-cercle, appuyés sur la roche naturelle de la colline.

– Wow, c'est sublime, souffla Adel, subjuguée par le monument.

Humphrey, tel un enfant, contemplait en sautillant la petite scène en pierre blanche devant eux. Puis, ses yeux divaguèrent sur les vestiges des éléments ornementaux.

– Je n'arrive pas à croire que j'y suis, pince-moi fiston, ordonna-t-il, un large sourire envahissant son visage.

Andreas obtempéra, ce qui fit sursauter de douleur le cinquantenaire.

– Aïe, je disais ça comme ça !

– Ah, désolé.

Ce dernier cachait mal son émerveillement face aux trois autels circulaires dédiés à la triade capitoline (Jupiter, Junon et Minerve). Il tentait d'imaginer les romains en toges venus pour la représentation de théâtre.

Adel, toute aussi impressionnée, admirait le bas-relief sculpté de Rhéa Silvia, mère de Romulus et Rémus, l'origine de cette immense empire Romain. Tous ces éléments faisaient partie d'un passé si lointain, ne cessa de penser la jeune femme.

La prochaine visite était la muraille punique de Carthagène. Après quelques minutes de marche dans des rues pavés, ils arrivèrent sur le site.

– La muraille punique de Carthagène est un site archéologique du IIIᵉ siècle avant Jésus-Christ. dans lequel peuvent être contemplées les premières murailles de la cité construites par les Carthaginois. Il s'agit d'un site d'une grande importance car il est l'un des rares vestiges de la civilisation carthaginoise qui restent en Espagne et un témoin des événements les plus importants de l'Antiquité dans le bassin de la Mer Méditerranée : la Deuxième guerre punique, lut cette fois Adel.

Le rempart se trouvait entre la colline San José et le mont Sacro. Elle était composée de deux faces parallèles de pierre de grès local. Le petit groupe fut intimidé par ce mur haut de plus de trois mètres. Ils n'eurent pas les mots pour décrire la beauté de ces vestiges antiques qui était malheureusement créés par les guerres entre êtres humains. Le cœur de la jeune femme se serra en imaginant tous ces hommes derrière cette muraille combattre pour des simples bouts de terres.

Une fois les visites historiques terminés, ils se rendirent au centre-ville de Carthagène. Ils errèrent au milieu de la foule de touristes. La marée humaine les guidait dans les étroites ruelles tandis que les vendeurs s'égosillaient sur leur stand, attirants les curieux qui osaient se frayer un chemin dans le flux de la foule. Andreas, Adel et Humphrey, les yeux levés vers les habitations, contemplaient leurs façades ornées des bâtiments aux grandes et nombreuses fenêtres. Des magnifiques fontaines agrémentées de statues décoraient les mini place ou bien les carrefours. L'atmosphère était emplie d'un léger sentiment de jovialité, les yeux des passants brillaient tandis qu'un large sourire était gravé sur leur visage.

L'heure du goûter vint et ils ne purent résister aux célèbres churros con chocolate typique du pays. Après s'être régalés et avoir fait le tour du centre-ville de Carthagène, ils repartirent, mi-frustrés de ne pas rester plus longtemps mi-excités en direction de leur destination finale.

Trois heures de route plus tard, le combi jaune canari arriva enfin dans la ville de Grenade illuminée par les étoiles du ciel dégagé. Plus qu'épuisés par la route et leurs visites, ils avaient du mal à tenir debout sans flancher. Le petit groupe furent hébergé par une gentille vieille femme qu'Humphrey connaissait.

– Bonne nuit, marmonna Adel alors qu'elle venait de poser sa tête sur un oreiller moelleux.

Andreas, contempla le doux visage de la jeune femme s'endormir peu à peu dans les bras de Morphée, un sourire attendri sur le visage. Il s'allongea à ses côtés en passant ses bras autour de sa fine taille, puis à son tour, partit pour le monde des songes après avoir déposé un délicat baiser sur les cheveux d'Adel.

Sleep with the fishesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant