Chapitre 10

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Affamés, Andreas et Adel se redressèrent et sortirent minutieusement les provisions qu'ils avaient achetées pour ce soir. Un gros paquet de chips croustillantes, une bouteille d'Ice tea, deux wraps, un paquet de cookie pour Andreas et une part de flan pour Adel. Ils savourèrent leur festin, avec vue sur la ville qui s'illuminait peu à peu, les lueurs des lampadaires se confondant à celles qui naissaient dans le ciel.

– Comment peux-tu manger une chose pareille ! Demanda Andreas avec une mine de dégoût alors qu'il observait Adel déguster précautionneusement son flan.

– Mais ch'est la meilleure chose qui exchiste au monde ! S'exclama-t-elle la bouche pleine.

– Non, je ne suis pas d'accord, c'est gluant et tellement écœurant. Renchérit le jeune homme en imitant des haut-le-cœur.

– Tu rates quelque chose, c'est si bon ! Laisse-moi savourer mon flan tranquille ! Ronchonna-t-elle en lui donnant une tape sur l'épaule.

Après avoir débattu sur la nourriture et bien failli se prendre la tête à propos de la pastèque et du fromage, ils se recouchèrent sur leur tapis d'herbe, cette fois blottis dans des sweats. La lune mère était à son apogée aussi ronde que le soleil. Éclairés par cette douce lumière blanche provenant du ciel ardoise, les deux adolescents regardaient le spectacle de la nuit se jouer devant leurs yeux émerveillés.

– Dis, Adel ? Demanda-t-il doucement dans le silence de l'obscurité.

– Oui ?

– Depuis que je te connais, je ne t'ai vu que sourire, rire et être joyeuse. Pourquoi ?

– Tu sais, la vie n'est pas éternelle. Les hommes, surtout les jeunes de notre âge, ont tendance à être affligés par des choses sans importance et de ce fait ils perdent leur gaîté de vivre et ne profite pas de leurs vies. Les humains ont vraiment du mal à apprécier ce qu'ils ont, veulent toujours plus, veulent toujours ce qu'ils n'ont pas et ne profitent de rien. Ils passent à côté de choses qu'ils auraient pu faire, qu'ils auraient pu voir. Moi, je ne veux pas perdre mon temps à pleurer pour des choses futiles. La mort peut nous prendre dans ses bras n'importe quand. Je veux vivre chaque instant comme s'il était le dernier, sourire rien qu'à la vue d'un arbre en fleur ou de deux vieux amoureux. Je veux vivre à cent à l'heure, découvrir tous les mystères de la vie et savourer les petits plaisirs du quotidien. Nous ne sommes pas immortels Andreas et le temps passe à une vitesse fulgurante. Alors, je veux n'avoir aucun regret lorsque mon heure viendra. C'est pour ça que je souris tout le temps, la vie est bien trop précieuse pour être gâchée par la tristesse et la colère.

Andreas resta sans voix face aux paroles d'Adel, il tourna la tête pour regarder son beau visage. Ses yeux brillants contemplaient le ciel et elle avait un doux sourire aux lèvres. À ce moment-là, il était très admiratif. Comment une jeune femme de 17 ans pouvait-elle dire des choses aussi sages, songea-t-il.

– Et toi Andreas, le coupa-t-elle dans ses pensées, en tournant son visage vers le sien, dès la première fois que je t'ai rencontré, j'ai vu une lueur de mélancolie dans tes yeux, pourquoi es-tu triste ?

– Euh...bafouilla-t-il surpris par cette question.

Il prit le temps de réfléchir avant de lui répondre. Une fois les mots bien ordonnés dans son esprit, il se lança :

– Adel, la vie n'est pas toujours ce que l'on croit. C'est vrai qu'elle est belle, précieuse mais elle est également cruelle, bien plus que la mort. Toutes choses ont une face sombre, la vie aussi. Elle est souvent injuste et peut te détruire. On ne peut nier la pauvreté, les inégalités, les guerres, toutes ces choses noires, sont, je sais, engendré par l'homme, l'unique responsable de ces méfaits. Certains humains font du mal à d'autres et leur prive de gaieté de vivre la remplaçant par la tristesse, la peur et la colère. C'est vrai que je suis triste la plupart du temps, je sens un être en moi s'animer, ronger mon cœur et je suis incapable de la contrôler. La vie n'est pas tout le temps rose. A vrai dire, elle est souvent en noir et blanc. Mais quand je suis à tes côtés, je me sens vivre, l'être en moi semble s'évaporer. Tu ranimes mon cœur, tu me fais sourire, tu me donnes de l'oxygène pour survivre dans ce monde où je suis complètement perdu.

Un sanglot dans sa gorge l'empêcha de continuer. Des larmes coulèrent sur ses joues, s'échouant sur l'herbe. Sa tristesse dans ses yeux resurgissait, se transformant en perles de sel. Adel avait gardé son regard rivé sur le jeune homme tout le long où il parlait au ciel, l'écoutant sans l'interrompre. Elle ne chercha pas à poser les milles questions qui lui trottaient dans la tête. La jeune femme lui prit simplement la main avec tendresse, caressant de son pouce sa peau écaillée.

Il tourna alors son visage inondé par les larmes et plongea ses yeux bouffis dans les siens. Il ria doucement dans l'obscurité, souriant de toutes ses dents à la jeune femme. Après avoir essuyé ses larmes, la sérénité envahissant son corps, Andreas, de sa voix fêlée, brisa le silence lourd qui pesait dans l'atmosphère :

– Quel est ton rêve le plus cher ?

– C'est une très bonne question. Dit-elle en souriant, une mine songeuse sur le visage, Tu vois toutes ces étoiles qui scintillent et éclairent nos ciels lorsqu'il n'est plus que ténèbres ? Eh bien ces étoiles sont mortes. Elles se sont éteintes il y a bien longtemps. Lorsqu'elles étaient en vie, elles ont parcouru l'infini pour venir jusqu'à nous. Une fois arrivée, elles ont cessé de briller et ce sont éteintes. Mais de là où nous sommes, même après leur mort, nous les voyons encore scintiller et nous les trouvons magnifiques. J'aimerais être une étoile pour pouvoir continuer à illuminer les vies de mes proches même après ma mort. Donc mon rêve le plus cher serait que lorsque je vais mourir, je veux me métamorphoser en étoile et aller les rejoindre dans le ciel. Comme ça, je pourrai veiller sur ceux que j'aime de tout là-haut et eux pourront continuer à me voir briller.

– C'est vraiment beau ce que tu dis. Je trouve que c'est un sublime rêve.

– Et toi, quel est ton rêve le plus cher ?

– À vrai dire, je n'y ai jamais songé. Mon rêve le plus cher n'a fait que se transformer au fil des ans. Par exemple, petit, je rêvais de me baigner dans une piscine de chocolat comme dans Charlie et la chocolaterie et je me disais que je serai plus malin que le gros garçon qui s'est retrouvé coincé dans le tuyau. Puis le temps a passé et je me suis mis à rêver de devenir plus grand afin de ressembler à ceux plus âgés, car je me sentais comme une fourmi vulnérable face à eux. Ensuite, il y a eu l'adolescence et ses ravages et j'ai commencé à vouloir changer complètement de vie. Je n'aimais plus qui j'étais, je n'aimais plus mon chez moi, je n'aimais plus ma vie. Mais désormais, je ne sais plus trop ce que je veux. Cependant, à cet instant précis, je sais que la chose que je désire le plus est de passer ma vie allongée dans l'herbe à contempler les étoiles, à être à tes côtés et à avoir ta main dans la mienne.

– C'est un rêve très agréable je trouve.

Tous deux se redressèrent, leur cœur battant la chamade. Les yeux dans les yeux, la main dans la main, sous un ciel parsemé de milliards d'étoiles. La supernova qui était dans le cœur d'Andreas et d'Adel brûlait intensément et la lune blonde, qui les observaient de tout là-haut, souriait.

Sleep with the fishesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant