Sleep with the fishes

Chapitre 24

Les yeux vitreux d'Adel reflétaient les flammes dansantes du feu. De la fumée mêlée à des fragments de cendres s'élevait dans l'air frais du crépuscule. Une douce mélodie emplissait le silence vespéral. Les hululements des hiboux accompagnaient les bourdonnements presque inaudibles des insectes nocturnes qui tournoyaient en une folle farandole autour du feu de camp. Le craquement du bois léché par les flammes créait un rythme paresseux.

Le visage de la jeune femme, illuminé par la lumière rougeoyante du feu, se peignait d'étranges ombres. D'une douceur brûlante, la chaleur des flammes caressait son corps, le recouvrant d'une couverture imaginaire. Au-dessus de sa tête, les lucioles, valsant joyeusement dans l'air, défiaient les astres scintillant dans le ciel outremer. Les étoiles terrestres contre les étoiles célestes.

Adel divaguait dans ses pensées, son esprit s'envolant de son corps éreinté. Elle se remémora leur journée passée sous le soleil flamboyant d'Espagne. Ils étaient arrivés vers midi à Murcie et avaient arpenté la ville tout en supportant la chaleur ambiante. Éprouvés mais émerveillés par les façades colorées et baroques des habitations ainsi que par l'immense cathédrale Santa María, le petit groupe avait repris la route, le cœur gonflé de joie et les yeux illuminés par la beauté. Lorsque la nuit avait revêtu son manteau obscur, Humphrey, Adel et Andreas avaient posé pied dans le camping de Valence et monté la tente, se battant contre les sardines revêches et la toile qui voulait s'envoler dans les airs.

La jeune femme esquissa un tendre sourire alors que le rire d'Andreas et les exclamations fascinées d'Humphrey résonnaient dans son esprit.

Sans raison, une profonde tristesse s'abattit sur Adel alors qu'elle contemplait les flammèches jouer, s'unissant puis se séparant tout en improvisant une danse joyeuse. Ses prunelles émeraude se remplirent de larmes. Son cœur se serra dans le fond de sa poitrine, envahi par un spleen vespéral.

Une main vint se poser sur son épaule la faisant sursauter. Elle tourna vivement la tête et tomba sur le visage bienveillant d'Humphrey :

– Ça va ? demanda-t-il tout en s'installant à ses côtés.

– Oui oui très bien et toi ?

La jeune femme essuya furtivement d'un revers de la manche ses yeux humides avant de s'efforcer de sourire.

– Je suis crevé ! s'exclama-t-il en baillant.

Un court silence s'installa entre eux, tous deux fixant le feu vacillant selon les flux de vent. Le cinquantenaire inspira profondément d'un souffle gras avant de déclarer :

– Merci d'avoir pardonné Andreas.

Sans un mot, Adel observa avec une mine d'incompréhension le visage usé par le temps d'Humphrey.

– Tu sais, c'est un garçon tourmenté, continua-t-il en parlant dans le vide avec un air étrangement grave, il a beaucoup souffert durant l'enfance. Andreas n'aime pas l'admettre mais au fond, il est dominé par une peur bleue.

La jeune femme écarquilla les yeux et faillit s'étouffer avec sa salive. Stupéfaite par ses révélations, elle fut incapable de dire quoique ce soit. Le tendre visage d'Andreas apparut dans son esprit.

– Son père n'a fait que le détruire. Jérôme comprit très tôt qu'Andreas n'était pas comme lui et cela lui déplaisait. Alors, il a essayé par tous les moyens de le transformer en une pâle copie de lui, quitte à l'effrayer, quitte à le blesser.

Le visage du cinquantenaire se teinta d'une expression de rage.

– Il lui avait appris à toujours se montrer fort. Andreas a donc, depuis tout petit, tenté de dissimuler son chagrin, souriant de toutes ses dents. Personne ne se doutait du mal être du petit, même moi. J'ai réalisé sa souffrance lorsque l'adolescence et ses ravages lui ont fait perdre son sourire. Son masque de bonheur était tombé à ses pieds et il montra aux yeux de tous ce qu'il était vraiment. Malheureux.