Chapitre 1: Début de la poursuite

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La nuit arrivait. Sur les bois environnants, une brume opaque tombait, s'étendant jusqu'au pâles rives de l'Anduin, le grand fleuve.

Dans le ciel clair, le croissant de lune montait progressivement à l'est.

Les quatre compagnons étaient arrivés au pied de hautes collines rocheuses et ils avaient diminué l'allure. La piste se faisait plus ardue.

À cet endroit, les hautes terres de l'Emyn Muil couraient du nord au sud en deux longues crêtes acérées.

Le versant ouest de chacune d'elles était escarpé et difficile à gravir, mais les pentes en étaient plus douces, sillonnées de nombreux couloirs et ravins étroits.

Les quatre compagnons jouèrent des pieds et des mains toute la nuit sur ce terrain décharné, grimpant jusqu'à la crête de la première croupe, la plus élevée, pour redescendre de l'autre côté dans les ténèbres d'une vallée profonde.

Là, à l'heure silencieuse et froide qui précède l'aube, ils se reposèrent un bref moment.

La lune était depuis longtemps descendue devant eux, les étoiles scintillaient au-dessus de leurs têtes, la première lueur du jour n'avait pas encore paru le long des collines noires qu'ils avaient passées.

Pour l'instant, Aragorn était désorienté : la piste des Orques descendait dans la vallée, mais là, elle avait disparu.

— De quel côté iraient-ils, à votre avis ? Demanda Legolas. Vers le nord pour prendre un chemin plus droit vers l'Isengard ou Fangorn, si c'est leur but comme vous le pensez ? Ou vers le sud pour piquer sur l'Entaille ?

— Ils ne se dirigeront pas vers la rivière, quel que soit leur but, dit Aragorn. Et à moins que les choses n'aillent très mal en Rohan et que le pouvoir de Saroumane soit grandement accru, ils prendront le plus court chemin par les champs de Rohirrim. Cherchons vers le nord !

La vallée s'enfonçait et un ruisseau coulait en petits filets parmi les galets du fond.
Une falaise se dressait sombrement sur leur droite, à leur gauche s'élevaient les pentes grises, estompées dans les ombres de la nuit avancée.
Ils parcoururent encore un kilomètre ou davantage en direction du nord.

Au bout d'un moment, Aragorn retrouva les traces des orques.

— Enfin ! S'exclama Aragorn avec un soulagement non feint. Voici les traces que nous cherchions ! Le long de ce lit : c'est là que les Orques sont partis après leur délibération !

Vivement, alors, les poursuivants tournèrent pour suivre le nouveau chemin. Comme rafraîchis par une nuit de repos, ils s'élancèrent de pierre en pierre.

Ils finirent par atteindre ainsi le sommet de la colline grise, et
une brise soudaine souffla dans leurs cheveux et agita leurs capes : le vent froid de l'aube.

Se retournant, ils virent par-delà la Rivière les lointaines collines embrasées.
Le jour jaillit dans le ciel.

Le contour rouge du soleil s'éleva au-dessus des reliefs de la terre sombre.

Devant eux à l'Ouest, le monde s'étendait silencieux, gris et sans forme, mais tandis qu'ils regardaient, les ombres de la nuit se défirent, les couleurs de la terre à son réveil reparurent:

Le vert inonda les vastes prairies de Rohan, les brumes blanches chatoyèrent dans les vallons aquifères, et dans le lointain à gauche, à trente lieues ou davantage, s'élevaient les Montagnes Blanches, bleues et pourpres, qui dressaient leurs cimes sombres couronnées de neiges luisantes, rosies par les lueurs du matin. Là, non loin, à l'horizon, s'étendaient les premières terres appartenant au Gondor.

— Gondor ! Gondor ! S'écria Aragorn. Plût au Ciel que je te contemple de nouveau en une heure plus heureuse ! Ce n'est pas encore que ma route se dirige au sud vers tes claires rivières.

Alors, dans une mélancolie surprenante, le visage du rôdeur s'assombrit légèrement tandis que son regard se faisait plus triste. Après une inspiration, il entonna un de ces vieux poèmes que les ménestrels chantaient encore dans les tavernes des pays des Hommes.

— Gondor ! Gondor entre les Monts et la Mer !
Le Vent d'Ouest soufflait là, la lumière sur l'Arbre d'Argent
Tombait comme la brillante pluie aux jardins des Rois de jadis.
O fiers murs ! Tours blanches ! O couronne ailée et trône d'or !
O Gondor, Gondor ! Les Hommes verront-ils l'Arbre d'Argent,
Ou le Vent d'Ouest soufflera t'il encore entre les Monts et la Mer ?

Quand le chant s'acheva, les quatre compagnons observèrent un moment de silence qui parut comme recueilli. Finalement, l'elleth brisa le silence :

— Allons, maintenant ! Dit Elenwë. Chaque instant passé amenuise nos chances de réussite..

Arrachant ses yeux à la contemplation du Sud, Aragorn regarda à l'ouest et au nord la route qu'il devait parcourir.

La montagne sur laquelle se tenaient les compagnons descendait rudement devant leurs pieds.

En dessous, à une quarantaine de mètres, il y avait une large corniche qui se terminait brusquement au bord d'une falaise à pic : le Mur Est de Rohan.

Ainsi se terminait l'Emyn Muil, et les plaines vertes du Rohirrim s'étendaient devant eux jusqu'à perte de vue.

— Regardez ! Fit alors Legolas. Ce nuage de poussière ! Cela doit être eux ! Vous aviez bien raison Aragorn ! Ils se dirigent vers Isengard. Félon de Saroumane ! Comment a t-il pu trahir la confiance de ses amis ?!

Aragorn baissa les yeux vers la plaine et soupira. 

— Le désir de puissance et de pouvoir peut corrompre même un esprit sage.. Est-ce vraiment si étonnant ?

Legolas ferma furtivement les yeux, en soupirant.  

— À combien de temps sont-ils de nous ? Demanda alors Gimli avec pragmatisme.

— On dirait deux jours de marche pas plus. Qu'en pensez-vous Elenwë ? Interrogea Aragorn.

— Je dirai la même chose mais le relief aplati de la plaine fausse certainement mes estimations.

— Infaillibles ne sont pas les yeux des elfes ! Rit alors ouvertement Gimli. 

Legolas lui jeta un regard mi amusé mi agacé tandis qu'Elenwë souriait largement.

— Mon cher maître nain, reprit Aragorn, sachez que chaque race de cette terre a ses avantages et ses faiblesses !

— Je le sais bien mon ami, parla Legolas. Néanmoins, je pense qu'Elenwë a raison. Partons au plus vite.

Ils coururent encore toute la matinée avant qu'Elenwë ne dise brusquement:

— Attendez !

Ils s'arrêtèrent et la jeune elfe se précipita sur quelque chose au sol.

Elle revint vers ses compagnons, tenant une broche elfique semblable au leurs dans la paume de sa main.

— Ils sont en vie ! Murmura Aragorn. Les orques n'auraient pu toucher cet objet de fabrication elfique sans être très sévèrement blessés !

— Ils ne sont plus guère qu'à une journée de nous ! S'écria Legolas. Nous raccourcissons la distance, cela est bien !

— Ne nous arrêtons pas ! Lança alors Gimli. Ma hache est toute prête à fendre leurs crânes hideux.

Ils repartirent, avec une certaine dose d'espoir au cœur.

Ils espéraient revoir bientôt leurs chers compagnons hobbits.

Pourvus que ces derniers soient encore en vie ! 

"Ô grands Valar.. protégez-les du péril !" Elenwë, l'air grave, répétait en elle cette inlassable prière.

La fille de la Lune Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant