La pluie de plombs que j'attendais n'arrivait pas. Pourtant le hurlement des moteurs et le bruit des canons latéraux du VSS étaient bien présents. Une seule solution possible : ils tiraient sur quelqu'un ou quelque chose d'autre.
Deux possibilités s'offraient donc à nous. Sauver ces pauvres gens qui se faisaient tirer dessus. Ou les abandonner à leur sort. Si les cibles de l'Hovercraft étaient bien humaines. Au vu de toutes les mauvaises rencontres que j'avais pu faire, je considérai donc la question d'un certain point de vue, mon instinct de survie me dictant que je devais m'enfuir le plus loin possible, que ce n'était pas notre problème.
Le temps de ma réflexion avait l'air d'être plus long que celui d'Edwin puisque, quand je revins dans le monde réel, la voiture avait déjà fait demi-tour.
Or, il y avait un problème. Plus de bruit. Seulement les clapotis de l'eau, le bruit doux du moteur, le roulement des vagues que nous formions derrière nous. Pas de hurlements, pas de tirs. Nous roulions alors à vive allure, mais quand nous prîmes tout deux conscience de l'étrange silence qui s'était installé, Edwin relâcha la pédale d'accélérateur. Je pensai que plus personne ne serait à sauver.
Nous arrivâmes sur une sorte de petite place, de la forme d'une boussole, ceinte d'immeubles. Le niveau de l'eau à cet endroit n'était pas trop haut, et permettait même la marche. Un lieu idéal pour établir un refuge pour la nuit qui commençait déjà à tomber.
C'était évidemment sans compter la conséquence de cette pluie de balles qu'avait délivrée le VSS. Des corps flottants dans l'eau, rougie par le sang qui s'écoulait par les impacts de balle. Un groupe de six personnes avait été abattu - déduction faite par comptage. Ils semblaient mieux équipé que nous, mais ne portait pas d'armes supersophistiquées, ni de cape fermée par une broche. Une sorte de bande de mercenaires, dont les visages étaient masqués. Dont les cadavres déchiquetés dérivaient vaguement à la surface.
Ne souhaitant pas nous attarder plus sur cette place au spectacle horrible, nous décidâmes de remonter dans la voiture et de poursuivre vers le nord.
Nous arrivâmes au pied du Mur. Le sentiment d'inquiétude régnant dans la ville et entre les rues n'était rien comparé à l'écrasement que je ressentais face au Mur. Aucune aspérité n'était visible sur la paroi. Le soleil même n'en atteignait pas le pied, de telle sorte qu'aucune plante ne poussait. Une terre nue, humide, battue par les Hommes d'autrefois, qui cherchaient à tout pris de s'enfuir de cette ville maudite. Un Mur parfait. Tellement parfait qu'il avait mené à l'auto-destruction progressive de la cité.
Le sentiment qui se dégageait de cette ombre permanente, de cette paroi sans anfractuosités me laissait sans voix. Un silence lourd s'était installé. Un silence pesant. Comme si la sensation de n'être qu'une petite poussière face au Mur ne suffisait pas. Je me sentais tout simplement écrasée, réduite à néant.
Il fallut qu'Edwin me prenne le bras pour que je puisse retrouver le contrôle de mes membres - enfin ce qu'il en restait.
"Viens, partons, me dit-il simplement"
La lumière de l'autre soir, il fallait qu'on la trouve. Que nous découvrions qui était derrière ces machinations. Qui me manipulait depuis mon réveil.
C'est pourquoi Edwin reprit la conduite de l'Amphibiane et, longeant le Mur, choisit de partir à droite, car c'était effectivement par là que nous avions vu les lueurs. Je n'arrivais toujours pas à me remettre de ce sentiment d'impuissance et de faiblesse que j'ai ressenti. Je pense qu'Edwin me compris aussi, car nous conduisions toujours en dehors de l'ombre. Pourtant, Il était toujours là, à nous juger du haut de sa centaine de mètres de haut. Impressionnant.
Mais moins impressionnant que de découvrir, en face de nous, ce qui ressemblait à une construction moderne. Un bâtiment qui ne tombait pas en ruine. Une sorte de grande maison blanche, sans fenêtres. Aussi lisse que le Mur. Sans entrée, évidemment. Pas de comité d'accueil, avec petits fours, bouquets de fleurs et tapis rouge. Pas de canons latéraux de VSS crachant une pluie de balle non plus. Cela aurait été même plus rassurant que rien. Il ne se passait absolument rien. Aucun signe de vie humaine.
Nous étions simplement devant un bloc blanc, sans entrée, presque en attendant qu'il se passe quelque chose, que nous nous fassions attaquer, qu'on nous fasse signe, quelque chose de ce genre. Rien.
La nuit commençait à tomber. Alentour, il n'y avait pas vraiment de bâtiments. En même temps, qui voudrait habiter dans l'ombre perpétuelle d'un Mur énorme, et n'avoir pour vue que du béton gris et lisse. Fonçant entre les arbres flottants, nous nous dirigeâmes vers le centre-ville. Arrivés dans une maison de banlieue, nous décidâmes de nous y arrêter.
Deux vrais lits nous attendaient en haut. Un confort que je n'espérais déjà plus. Une sorte de cocon familial, détruit par la montée des violences et des émeutes dans la ville, dans lequel nous nous incrustions. Évidemment, sur le fait, je n'y pensais pas. Edwin me porta jusqu'au lit le plus proche et m'y déposa.
Je m'endormis instantanément, d'un sommeil de plomb.

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Deep
AdventureSur une Terre inondée par la montée conséquente des eaux, une jeune rescapée de la catastrophe tente de survivre dans ce nouvel univers hostile et inconnu.