8. Tomber

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En média "Elle est d'ailleurs" de Pierre Bachelet

Ce lundi matin, je suis complètement à côté de mes pompes. Deux billes aux reflets des mers du sud m’ont tenu éveillée ces deux dernières nuits. Même le café corsé que me prépare Mamie n’arrive pas à me remettre sur mon axe. Je n’arrive pas à me sortir du crâne notre court tête à tête de samedi. Mon épiderme frissonne au souvenir de son contact sur ma peau, et bizarrement, c’est une sensation de manque qui m’envahit.

Je file à la douche, en me disant que l’eau chaude me lavera de toutes ses absurdités qui polluent mes idées. 

" Réserve-moi ton samedi prochain après-midi s’il te plaît ! J’ai quelque chose à te montrer."

Je n'arrive pas à m’ôter de l’esprit son étonnante demande de … rencard ? J’ai autant envie d’y être que de lui faire faux bond. 

C’est dans un imbroglio de sentiments que j’arrive au lycée. Je ne sais toujours pas comment appréhender nos relations maintenant que nous avons, plus ou moins, brisé la glace. Je passe la matinée dans un tel brouillard que je ne sais même pas comment Stan et Fanny ne s’en sont pas rendus compte. Je vais devenir folle si ça continue ! Il aura gagné le satouin ! A défaut d’une humiliation publique, il aura raison de ma santé mentale et me poussera à l’internement. Mais c’est peut être ce qu’il vise depuis le départ, finalement ? 

C’est le brouhaha ambiant qui règne dans l’enceinte de l’établissement qui me sort de mes turpitudes mentales. Je croise justement Suzelle au détour d’un couloir et elle me révèle la raison de tant d’agitation : les cinq se sont encore lancés un défi, enfin surtout Sébastien et Manoé. A l’évocation du nom de celui-ci, mon coeur part au galop et finit presque sa course dans mes talons quand sa voix se fait entendre au loin. 

Ce matin, chose peu commune, lui et sa bande ne se sont pas attardés à l’entrée et du coup je ne l’ai pas encore croisé. Au moment même où le rire grave de Manoé résonne en faisant vibrer chaque fibre de mon âme, Suzelle m’explique en quoi consiste ce nouveau défi.

— Sébastien et Manoé doivent recueillir le maximum de bras tagués avant ce midi. Tu te rends compte ? Ils se baladent chacun avec un marqueur indélébile à la main et s’amusent à mettre des croix sur les avant-bras de volontaires ou pas d’ailleurs ! Ils ne savent vraiment plus quoi inventer, me dit-elle en levant les yeux au ciel, même si l’on perçoit de l’amusement sur ses traits.

Je ne le lui dis pas, mais je souhaite secrètement que Manoé vienne me marquer.

C’est quoi ce délire ma pauvre fille ! 

Je me mets une claque mentale pour avoir eu cette stupide idée. Ma conscience me rappelle à l’ordre quand justement Manoé me dépasse pour aller demander à une élève de première si elle accepterait d’être taguée par lui ; ce qu’elle accepte sur le champ. Une drôle de sensation m’étreint soudainement, désagréable. Je crois reconnaître ce sentiment de jalousie que je refoule le plus loin possible. Ravalant ma fierté piétinée à mes pieds, je me mets à observer la scène comme le font la plupart des lycéens qui ont stoppé leur avancée dans le couloir. 

Si Manoé, lui, demande essentiellement aux filles qu’ils croisent, toutes sauf moi, Sébastien, au contraire, ne fait aucune distinction de sexe ni d’adhésion ou pas. Est-ce pour cela ou juste par vengeance mesquine, mais je me prends au jeu quand il me le propose et lui tends mon bras après avoir relevé ma manche ? Il me remercie vivement puis poursuit sa course, non sans m’avoir dit que les délibérations auront lieu ce midi au réfectoire et que je devrais l’y rejoindre. Pour moi qui me tient habituellement éloignée de leur groupe et de leurs délires, c’est une grande première. Mais, une fois n’est pas coutume, j’ai très envie d’y participer.

C’est comme ça qu'à midi, je traîne Fanny, Stan et Suzelle jusqu’au self, impatiente de découvrir le grand gagnant de ce défi. Sans nous en rendre compte, nous nous prenons au jeu des pronostics. Mes trois acolytes déclarent Manoé "Grand gagnant" tandis que moi, par esprit de contradiction, je mise sur Sébastien.

En parlant de ces deux-là, ils se tiennent justement au beau milieu du réfectoire, entourés de leurs amis et de tous les badauds du lycée, très friands de ce genre d’animation. Manoé appelle à lui, toutes ses volontaires qui ne se font pas prier et redressent leur manche pour montrer à tous la croix rouge qui orne leur avant-bras. Elles sont nombreuses. Le constat est amer pour moi et je tente, pour la deuxième fois de la journée de ravaler ma déception. 

Puis c’est au tour de Sébastien. 

Même si chez lui, les volontaires sont en nombre inférieur, c’est très fiers, enfin surtout pour moi, que nous dégainons nos croix noires. 

Malgré la liesse qui acclame Manoé pour avoir remporté ce défi, celui-ci met un temps avant de réagir, ses mâchoires se crispant durement. Finalement, il se ressaisit et prend part à la cohue même si je remarque que son sourire de façade, aujourd’hui n'atteint pas ses yeux. Il ne me jette aucun regard. Cela me blesse d’autant plus que quelque part, si je suis honnête avec moi-même, je dois reconnaître que j’ai pris part à ce jeu pour m'intéresser davantage à son univers.

Mme Sarfati, la responsable du self, intervient pour ramener le calme dans le lieu et pousser chacun à aller se servir. Je m’assieds avec mon équipe à notre table habituelle, mais aujourd'hui, l’appétit n’y est pas. Je ne cherche même pas Manoé du regard, pour ne pas paraître en manque de ses clins d’oeil.

L’après midi se poursuit, toujours dans un brouillard opaque. Je me fais même reprendre deux fois par Paul dans la même heure parce que je suis complètement à l’ouest, moi qui d’habitude anime son cours, d’une énergie sans égale. Il me demande même de rester à la fin de celui-ci afin de s’enquérir de mon état. Ne me voyant pas lui balancer que je me tamponnais le coquillard de Molière et son malade imaginaire, je préfère m’assimiler à celui-ci et feins une migraine carabinée qui m’empêche de me concentrer. 

Si on regarde bien, je n’ai pas vraiment menti. C’est juste que ma migraine à moi est un beau châtain au regard océan. Paul me donne un billet pour aller chercher du paracétamol à l’infirmerie et me laisse partir à regrets. Je dois faire peur à voir si même mon ami sort de son rôle d’enseignant rigide et se fait du souci pour moi.

Je me dirige vers l’infirmerie quand, soudain, une main m’agrippe le bras et m’attire dans un recoin isolé. Je m’apprête à hurler à plein poumon quand je reconnais Manoé, qui enlève doucement sa main de ma bouche quand il est sûr que je ne vais pas jouer à l'hystérique de service. il ne pipe mot malgré mon regard empli d’interrogations. il se contente juste de m’attraper le bras duquel il relève la manche. Il fixe un instant la croix noire que je n’ai toujours pas lavée. Il s’applique à l’effacer dans un mouvement aussi assuré que doux. Puis, sortant son marqueur rouge, il le débouche, et ne quittant pas mes yeux un seul instant, il trace des lignes dans le creux de mon poignet. Ensuite, tandis que je bloque toujours face à ce qui est en train de se produire, il se baisse légèrement, souffle à l’endroit même où la pointe de son feutre a marqué ma peau, et y appose un doux baiser. Finalement, il se redresse, m’adresse un clin d’oeil et part sans se retourner.

Je peine à redescendre tant ce que je viens de vivre est intense, même si aucun mot n’a été échangé. Je ne sais pas comment interpréter ce qu’il vient de se passer. Je suis encore plus confuse quand je baisse enfin les yeux sur mon poignet et y découvre un M inscrit en lettre de sang.

M pour Mélissa. M pour … Manoé ?

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Coucou à vous !

Alors alors ? On dirait bien que les choses se precisent, hein !
Melissa est complètement sous le charme de Manoé et ce ne sont pas les prémices de sa jalousie qui nous affirmeront le contraire !

Se pourrait-il que Manoé, lui aussi, éprouve ce même sentiment ?
Ce qui est sûr c'est qu'il n'apprécie guère voir Mélissa porter la marque d'un autre.

À votre avis, que peut bien signifier ce  M ?

Je vous donne rendez-vous lundi pour la fameuse surprise que notre beau jardinier réserve à la petite abeille !

Bisous soufflés
Namsra

Bee my loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant