32.

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Malgré l'immense table garnie de viennoiserie délicieuse qui les séparait, Johana avait le sentiment d'être plus encore à la merci du comte que lorsqu'il était proche d'elle. Qu'avait-il voulut supposer tout à l'heure dans sa chambre ? Il avait dit qu'il n'avait jamais pu l'oublier et qu'il fallait faire tomber les masques. De quels masques parlait-il ? Elle l'observait déjeuner à l'autre bout de la table avec une aisance qui la déstabilisait; il mastiquait ses tartines grillées et sirotait son café sans pour autant quitter des yeux son journal. Il savait où se trouvait chaque chose et savait où poser la main en cas de besoin. Il avait l'air si calme et détendu qu'elle en venait à se demander si elle n'avait pas rêvé les mots qu'il lui avait dit tout à l'heure. Il lui avait tout de même avoué de manière implicite qu'il était l'homme qui l'avait sauvée il y a huit ans et dont elle cherchait l'identité depuis tout ce temps. C'était tout simplement incroyable !

— Vous allez finir par vous manger les doigts si vous continuez à réfléchir ainsi.

Elle se figea au son de sa voix et lui lança un regard interrogateur. Il baissa les yeux sur ses doigts tout proche de ses lèvres et elle comprit. Honteuse, elle baissa sa main et la posa à plat sur la table. Comment avait-elle fait pour ne pas s'apercevoir qu'elle avait finit sa tartine et se mordait légèrement les doigts.

— Si quelque chose vous dérange dites le moi. Je suis disposé à répondre à vos questions, ajouta l'homme en repliant son quotidien.

Il posa ses coudes sur la table et la joncha avec une attention inquiétante. Elle avait du mal à distinguer la lueur de son regard afin de deviner ce à quoi il pensait. Décider à mettre les choses au clair, elle se lança.

— J'ai été secouru par un homme il y a huit ans. Êtes-vous cet homme ?

Le comte se redressa de sa chaise et s'adossa contre celle-ci afin de se mettre plus à l'aise.

— Je suis bien plus que ça, répondit-il d'un ton neutre.

La jeune femme déglutit péniblement. Devait-elle prendre cette réponse pour une affirmation ou cherchait-il simplement à la perturber ?

— Je ne comprends pas, lui dit-elle. Que voulez vous dire ?

Anthon inspira une importante bouffée d'air. Même si cela lui coûtait de l'avouer il fallait qu'il le dise.

— Je n'ai pas fait que vous secourir Johana. D'ailleurs je me demande bien si je vous ai sauvé ou condamné.

Il fit une pose et fit craquer les os tendus de son cou en bougeant sa tête de gauche à droite.

— Vous m'avez supplié de vous garder avec moi mais j'ai refusé et vous ai rendu à votre père sans savoir que je vous condamnait à l'enfer.

Sa voix était grave et rocailleuse, il la regardait mais sans pourtant la voir. Son esprit avait fait un saut dans le passé comme s'il voulait revenir en arrière et réparer son erreur. S'il avait su que le père de cette dernière représentait sa réelle menace jamais il n'aurait pris cette décision.

Johana ferma les yeux luttant contre les larmes et la détresse qui menaçaient de l'emporter. Il avait l'air si sincère et pourtant une partie d'elle refusait d'y croire. Pourquoi ? La réponse l'effrayait autant que la question.

— Comment puis-je vous croire ? L'interrogea t-elle en rouvrant les yeux.

Johana sursauta lorsqu'il se leva de sa chaise faisant vibrer toute la table et ce qu'elle contenait. Il s'avança vers elle et tira une chaise pour venir s'asseoir en face d'elle. Elle n'osait pas bouger de peur de prendre ses jambes à son cou et de s'enfuir. Manu militari il tira sa chaise vers la sienne comme s'il s'apprêtait à lui faire un interrogatoire.

— Cette nuit là, commença t-il en posant ses mains de part et d'autre de sa chaise frôlant ses cuisses au passage.

Il émanait de lui une telle force qu'elle sentit son estomac se nouer. La colère et la douleur se lisaient sur ses traits ciselés.

— Cette nuit là, mon ami a faillit perdre un œil à cause de mon impulsivité. Croyez vous que je puisse oublier ça ? Vous étiez recroquevillé sous la table tremblant comme une feuille, frêle et blanche comme une fleur de lys. Anastase m'avait mis en garde mais je ne l'ai pas écouté.

Il la saisit par la nuque pour rapprocher son visage du sien comme s'il s'apprêtait à lui révéler un secret qui imposait la plus haute discrétion.

— Dans un certain sens Johana c'est vous qui nous avez sauvé cette nuit là, siffla t-il. Nous avertir qu'un homme se cachait derrière la porte nous a été salutaire.

— Je n'ai jamais dit cela, fit-elle d'une voix faible et tremblante.

— Peut-être pas de manière explicite mais vous l'avez dit et Anastase a pu réagir à temps. Il a perdu connaissance durant quelques minutes et à son réveil la police était là et les médias aussi. Nous ne pouvions pas vous abandonner à votre sort alors on a décidé d'affronter la presse. Malgré l'orage il y avait beaucoup de monde, je vous ai porté dans mes bras et vous ai déposé sur un brancard, c'est à ce moment que vous m'avez supplié. Je me souviens très bien avoir posé mon doigt sur votre bouche pour vous faire taire parce que vous insistiez malgré mon refus catégorique.

Il comprenait à présent pourquoi elle s'était montré si têtue. Elle avait peur d'être rendu à son père.

— L'ambulance vous a emmené et Anastase et moi avons disparu sans que les médias ou la police s'en aperçoivent.

Comment ne pas le croire après cette déclaration qui relatait parfaitement les événements ? Il n'avait pas pu le lire dans la presse car il y avait peu d'informations à ce sujet. Son père c'était arrangé pour étouffer l'histoire la faisant disparaître comme si elle n'avait jamais eut lieu. Le comte de Mansfeild était bel et bien son sauveur. L'homme qu'elle cherchait depuis tant d'années... L'homme qui avait ravi son cœur et dont elle était amoureuse.

Sidérée, elle tenta de se relever mais il l'en empêcha en faisant une légère pression sur ses épaules. Maintenant qu'elle savait qui il était ce geste n'avait plus la même signification pour elle. Elle était amoureuse de cet homme et qui la touche la grissait encore plus que ce qu'elle avait pu ressentir avec lui jusque-là. Elle songea à la lettre mystérieuse qu'elle avait reçu.

— La lettre, c'était vous ?

Il acquiesça et eut un sourire amusé.

— Elle avait pour but de vous décourager dans vos recherches, annonça t-il. Mon plan était de vous en envoyer plusieurs les unes plus menaçante que les autres mais j'y ai renoncé et ait opté pour une autre tactique.

— Laquelle ?

Le cœur de Johana cognait dans sa poitrine à un rythme effréné.

— Vous faire devenir mon égérie et ne pas vous laisser une seule seconde de répit afin que vous ne pensiez plus une seule fois à votre idée de me retrouver... Et ça à marcher.

En effet, depuis qu'il était entré dans sa vie, elle n'avait plus une seule fois fait des recherches sur l'inconnu qui l'avait sauvée. Cela lui était complètement sorti de la tête.

— Me croyez vous maintenant ? Lui demanda t-il en la transperçant de ses yeux de glace.

Elle hocha la tête et elle ne sût comment l'expliquer mais une part d'elle se sentait soulagée qu'il soit l'homme qui hantait ses rêves mais une autre part était meurtri car elle savait qu'être amoureuse d'un homme tel que Anthon Milan n'était pas convenable, elle en souffrirait indéniablement.

Bene, c'est à moi de poser les questions à présent, fit l'homme mâchoires crispées.

Elle retint son souffle en appréhendant ce qui allait lui demander. Mais à son expression impassible et froide cela ne présageait rien de bon.

— Qui est votre père ? Je veux un nom... et tous les détails !

Un dangereux protecteur(1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant