Clock 1 : Froid sur l'orphelinat

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Tic... Tac... Tic... Tac...

La température chutait. Le froid cristallisait le marbre et le rendait glissant. Le noir et le blanc des dalles viraient à la plus sombre des couleurs. L'obscurité devenait maîtresse. La nuit était tombée.

Tic... Tac... Tic... Tac...

Dans la plus silencieuse ambiance, les enfants se cachaient sous leur couette épaisse et fermaient les yeux. Seul un bruit transcendait le calme et rendait anxieux les plus jeunes. Le tintement angoissant de l'horloge. Celle qui se trouvait au fond du couloir. Tout au fond...

Tic... Tac... Tic... Tac...

Comme chaque soir, il ne fallu que peu de temps pour les orphelins à parvenir à entrer dans le monde onirique. Plongés dans un sommeil profond, ils purent passer la nuit sans crainte et dès l'aube...
- Mika !
Ils se réveillèrent avec la plus grande hâte.
- Mika ! Dépêche-toi ! Ce matin, c'est le festin du mois !

Les oiseaux perchés aux rebords de pierre s'envolèrent soudain. Afin d'aérer leur chambre, un des plus jeunes ouvrit la fenêtre et avec un grand sourire, les yeux fermés, la pointe des pieds sur une chaise de bois, il prit une grande bouffée d'air frais.
- Attention, John. On t'a déjà dit de ne pas t'approcher de la fenêtre. Tu pourrais tomber.
- Je sais, Lisa ! Mais j'aime sentir le vent sur mes joues !
La jolie demoiselle aux cheveux oranges, aux yeux verts et vêtue d'une longue robe de soie blanche, attrapa les pommettes du petit, puis les pinça.
- Tes grosses joues tu veux dire ! rit-elle en lui faisant un clin d'œil.

Mika retira la couverture de ses jambes et se redressa avec difficulté. Sa sœur, Nelly, qui n'appartenait pas réellement à sa famille, vint l'aider à s'installer sur son fauteuil roulant. Il avait perdu l'usage de ses jambes quelques jours après sa naissance et ne connaissait donc point la sensation de marche.
- Allez, allez, allez ! s'écria Lisa. Sortez tous ! On est en retard sur les autres chambres !

Par dortoirs, les filles et les garçons n'étaient ni triés en fonction de leur sexe, ni de leur âge. Ils étaient dix par pièce et avaient des couchettes plus que confortables.

Les roues du fauteuil de Mika grinçaient. Le couloir était éclairé par les lustres. Les murs tapissés de jaune rendaient l'atmosphère plus pesante.
- J'en ai assez, soupira le garçon. Les tons monotones de cet orphelinat me rendent malade. Jour après jour, je me demande si j'ai un avenir hors de ces murs.
- L'extérieur est dangereux, répondit Nelly. Sœur Elizabeth nous l'a dit.
- Et elle est morte à l'intérieur il y a quelques semaines. Tu ne comprends rien ?

Face à l'immense horloge, la demoiselle s'arrêta. Les deux fixaient les grandes aiguilles rouillées.
- Il n'y a plus d'adulte pour veiller sur nous tous. Plus personne pour nous apporter à manger.
- Sœur Elizabeth allait toujours en bas pour chercher la nourriture. Dans la réserve. Il reste peut-être de quoi subvenir à nos besoins.
Mika se retourna brusquement sur sa propre chaise mobile et grimaça.
- Mais pour combien de temps ?
- De toute façon...

Elle posa ses mains sur les poignées du fauteuil et tourna dans le couloir en pente. Celui-ci était en spiral et menait jusqu'au rez-de-chaussée, dans la cantine.
- Ton silence me dit que j'ai raison.
- Tu te trompe, Mika.
- Alors que voulais tu dire ?
Nelly serra les poings, en tenant les barres de la chaise.
- Tant qu'on respecte la règle de la nuit, tout ira bien pour nous.

Avant que la sainte servante de ces enfants ne décède suite à un terrible incident, elle organisait toujours un festin du mois. Le petit-déjeuner était succulent, le repas du midi l'était bien plus et le dîner était parfait. Sans elle, ils s'étaient fixés l'objectif de poursuivre cette tradition. Après tout, ils ont toujours été habitués à cuisiner.

Lisa et Nelly entrèrent dans la cuisine et commencèrent à préparer les croissants, en compagnie de plusieurs autres enfants. Ils étaient les plus vieux, âgés de seize années.
- Salut les filles ! Encore en retard...
Leur frère métis et aux cheveux rasés ricana.
- Tais-toi, Shabal.
La blonde aux yeux bleus se sentait différente suite à sa conversation avec Mika.
- Ça va, je plaisante ! On a déjà commencé à faire la compote de fruits. Les petits raffolent de la rhubarbe alors on en a mis un peu plus.
- T'as raison, ils sont bouleversés depuis que... Enfin, vous avez bien fait.

La porte s'ouvrît brusquement. Deux gamins couraient en hurlant.
- Eh ! s'exclama Lisa. Les enfants, ne jouez pas ici !
John s'agrippa aux fines jambes découvertes de la jolie fille et ronchonna.
- Mais j'ai faiiiim !
Janice, la plus jeune, s'approcha d'eux.
- Je voulais jouer au chat en attendant...
La rousse s'accroupit et étendit ses lèvres afin de leur adresser son plus beau sourire.
- Allez jouer ailleurs, c'est dangereux la cuisine. Il y a un four brûlant, des couteaux... Ce n'est pas votre place.

Assis à table, avec ses frères et sœurs, Mika fixait la baie vitrée et observait les arbres danser au gré du vent. La forêt s'agitait. Le ciel était caché par de gros nuages gris.
- Les amis...
Shabal et les filles arrivèrent avec des chariots remplis de plats et d'assiettes. Affamés, les orphelins tapaient leurs couverts sur les tables. Un adolescent aux cheveux gris et longs se leva. Il posa son talon sur une table et la poussa, ce qui eut pour effet d'interrompre le brouhaha en frottant le sol de marbre. Le grincement fut si strident que certains enfants hurlèrent de peur.
- Vos gueules bordel !
- Will, commence pas, s'exclama Lisa.

L'ambiance gaie devint morose. L'adolescent turbulent en avait assez des cris incessants d'impatience.
- Quel rabat-joie, soupira Shabal.
Le petit déjeuner se déroula dans le plus grand des calmes. La pluie s'abattait sur la nature sans un bruit. Mika agitait l'eau dans son verre en le secouant, regardant l'extérieur.
- Un jour, je nous emmènerais dehors...

Tic... Tac... Tic... ...

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