Une lourde porte en bois grinçante, un hall d'entrée, dans un vieux bâtiment au carrelage fissuré et à la tapisserie décollée, des boîtes aux lettres défigurées par le temps portant des noms aussi variés qu'ils puissent l'être. Des escaliers à la rampe branlante dont les pierres portaient le passage des gens, un pallier au faux-plafond assez bas, et une porte qu'il fallait forcer de l'épaule pour passer. Une fois ouverte, on pouvait poser ses clefs sur l'un des seuls meubles présents, des petites étagères en bois.
Ce meuble n'était pas très grand, pas très large, et pourtant il devait réussir à contenir tous les habits du studio. Si l'on enjambait tous les cartons à moitié vidés entassés au centre de la petite pièce, on y trouvait la locataire, endormie sur un matelas posé à même le sol. Elle rêvait. Rêvait de son ancienne maison, de ses anciens amis, de la famille qu'elle avait laissée derrière. Son réveil sonna, l'extirpant vivement de la vie dont elle n'avait plus que des souvenirs. Elle se leva et se prépara à aller en cours, seule.
Prête, elle prit son sac, ses clefs, et partit en fermant la porte derrière elle. Elle descendit les marches de pierres déformées et s'arrêta un instant devant sa boîte aux lettres. Des publicités. Elle les laissa là, doutant d'en avoir vraiment besoin là où elle irait. Mais, chaque matin, elle s'imaginait partir au travail en ouvrant une lettre sur la route, la lisant d'un trait, ravie qu'on lui ait écrit. Écouteurs dans les oreilles, musique sur son téléphone, elle essayait d'oublier tous les bruits de la rue. L'embouteillage des cadres qui allaient travailler et qui klaxonnaient régulièrement, persuadés d'être plus pressés que les autres, les adolescents en bande mettant leur musique à fond, convaincus que tous les passants aimaient la même musique qu'eux, les piétons qui se bousculaient, remplaçant leurs excuses par tout un florilège d'insultes, certains que cela ne pouvait qu'être la faute des autres. C'était une nouvelle ville, mais les gens restaient les mêmes.
"¡Hola Petra!"
L'interpela Auruo, le seul repère qu'elle avait gardé de son ancienne vie: un égocentrique fini qui avait la fâcheuse tendance de la suivre partout.
"Hola ¿que tal?
- Ah, tu as commencé tes cours d'espagnol, tu es content?
- Pfff... Petra, tu ne peux pas me comprendre. Personne ne peut. Je suis à un autre niveau, moi. Je sais que tu adorerais me ressembler, mais tu ne m'arriveras toujours qu'à la cheville.
- Tu as raison sur un point. Personne ne peut comprendre ce qu'il se passe dans ta tête."
Fier de ce qu'elle venait de dire il se mit à marcher à côté d'elle, sans vraiment saisir ses propos.
"Par quoi commences-tu, ce matin?"
Auruo souffla, visiblement agacé par la question de sa camarade.
"Mathématiques. Je suis doué, pourquoi m'obligent-ils à avoir ce cours? Ils sont trop stupides pour se rendre compte que je n'en ai pas besoin, que c'est une perte de temps. Les autres en ont sûrement besoin, mais pas moi.
- Moi j'aime bien les maths."
Déclara-t-elle.
"Et bien moi non. Parce que c'est trop facile.
- Facile? Sors la note que tu as eu au bac, pour voir?
- Le correcteur a vu que j'étais une menace, et qu'il fallait me saquer."
Répondit Auruo en faisant la moue et en déclenchant un fou rire de la part de Petra.
"Tu en sors souvent des trucs comme ça, mais là!"
Elle n'arrivait plus à s'arrêter de rire, elle rit jusqu'à en avoir mal au ventre. Il entrèrent dans la cité scolaire et Petra, qui allait dans un autre bâtiment, tapota gentiment l'épaule de son ami.
"Je te laisse avec ton cours de mathématiques chéries, j'y vais."
La journée commença, les cours continuèrent, et Petra fit de son mieux. Elle n'était pas la meilleure de sa promotion. Pas la pire non plus. Elle faisait comme elle pouvait.
"Ce soir mes placards sont vides, je viens manger chez toi."
Déclara Auruo, sortant de la cité avec Petra.
"Pardon? Super doué, tu aurais pu surveiller ton stock, un peu...
- Voyons, quelqu'un comme moi n'a pas à faire des choses aussi futiles que les courses.
- Tout le monde a besoin de manger.
- C'est pour cela que je viens chez toi ce soir, réfléchis, un peu. Tch... Décidément tu ne changeras jamais.
- Je sais quel professeur tu essayes d'imiter. C'est très mal fait."
Maugréa-t-elle.
"Que va-t-on manger?"
Demanda-t-il en se frottant le ventre.
"Tu connais les règles. Si tu t'invites, tu cuisines.
- Oui, oui..."
Le repas fut brûlé, un verre fut cassé, la nappe fut tâchée, mais jamais aucun voisin n'entendit plus de rires que ces voisins-là.
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Plusieurs réalités
FanfictionDes gens se rapprochent, d'autres non. Mais finalement, que ce soit dans n'importe quel monde, les liens se créent entre les gens, et il est plus ou moins facile de les observer.