Partie 10 : Terre cannibale !

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Du liquide salé, du liquide alcoolisé, du liquide de guerrier, toujours du liquide, encore du liquide...  et le port de Skagen parvint enfin à nous... ou plutôt le contraire, en fait.

Après des heures de mangeaille, de somnolence et de baise à répétition, nous arrivâmes donc sur la terre ferme. Un long périple se termina, à en dégoûter les Eristoff  Colon (1), les Mages Elans (2) et les Vasques (3) haut de gamme à... je ne sais plus qui d'ailleurs et consorts, tous les navigateurs à voile, à poil et à vapeur ! Alain Bombard lui-même aurait renoncé ! Une erreur d'un centimètre quand vous faites le point sur ces grandes étendues de liquide salé, et vous vous retrouvez ni une ni deux au Pôle Sud ou en Australie, au pays  des kangourous qui ont tant fait pour le slip masculin !

Tout ça pour vous dire que la plupart des grandes découvertes ont eu pour origine une bévue. Et que le plus souvent, une connerie réussie est plus profitable qu'une grande œuvre loupée. La preuve en est : « la bêtise de cambrais ! »

La Terre, je disais...

Où de gros nuages sombrent courent sur la plaine, chassés par le vent de la mer du Nord, qui roule ses vagues immenses et grises tout au long des falaises abruptes. Magnifique ! 

Un pays immense et sauvage, secret. Un autre monde, une autre âme, une autre manière de mesurer le temps et l'espace. Une terre ferme mais hostile, dont la météo devînt vite pessimiste.

Plus la chariote s'enfonçait dans les plaines et plus s'épaississait la couche de neige. Il fallut dégager les sentiers à la pelle. Notre carriole bovine s'embourbait souvent dans d'invisibles fondrières. On s'enfonçait jusqu'aux genoux. Pour se sortir de ce cloaque il fallait alors dételer, dégager la masse neigeuse collante, atteler à nouveau, trouver un autre itinéraire, s'enneiger à nouveau. On perdait du temps et on s'épuisait. Les jours passaient en compagnie de quelques bouquet d'arbres qui frissonnaient dans le vent. Le froid, insoutenable, mordait les visages sous les capuches de fourrure. Engoncés dans plusieurs couches de vêtements, nous grelottions, transis. Entourés par les passe-montagne de laine et rongés par des barbes sales, les visages bleuissaient...

Afin d'éviter les bourrasques incessantes nous décidâmes alors de progresser à travers une forêt profondément cotonneuse. Il faisait froid, humide, sombre, et les fûts noirs des sapins s'encapuchonnaient de traînées de brouillard. On continua donc sous ses hautes futaies, le long d'un sentier étroit, dans un grand froissement de branche cassées, où parfois de petites clairières trouaient les ténèbres de lueurs plus claires.

La chariote soulevait un véritable nuage de fumée poudreuse. De lourdes plaques blanchâtres se détachaient des roues et tombaient régulièrement avec un bruit mou.

 Sous la neige fraîche, le sol était gelé; l'attelage dérapa brusquement sur une pente. Il glissa lentement mais inexorablement vers un petit lac gelé, bien dissimulé jusqu'alors sous l'immense pinède...

-       Hostia ! (4) Oun va briser la glace y disparaître ! s'exclama Mercedes, qui devinait que d'autres convois s'étaient engloutis sous les eaux, avec leur équipage prisonnier dans la carcasse.

Tout le monde sauta rapidement du véhicule, attrapa de fortes cordes et les enroula autour des troncs d'arbre à proximité, tira de toutes ses forces et parvînt à l'aide des bœufs à stopper la mortelle glissade de la chariote... Cet incident nous impressionna, et nous décidâmes à nouveau de nous emparer de pelles et de pioches pour dégager aussitôt le chemin forestier. 

Durant notre labeur, la tempête de neige se calma un peu... mais des ombres furtives apparurent soudain entre les fûts sombres des arbres, observèrent un instant et s'évanouirent aussitôt dans les profondeurs de la forêt.

-   Bordel à cul, nous sommes repérés ! Lança notre chevalier. Il ne fallut que quelques  heures suivies d'une volée de flèches pour que l'encerclement se confirma.

Lanceleau est inquiet. Des cris semblant sortir de la terre elle-même ne le rassurent pas sur leur origine Viking. Ça renifle plus sûrement le cannibale...

Ordre alors est donné de former le Hérisson (5) et de balancer des chiées de feux grégeois, comme s'il en pleuvait. La technique du lancer de disque chez notre Lanceleau fait fureur. Tout « Strong » Lance' (6) se déchaine même en gueulant son hypothétique amour sodomite à nos invités... Ça part dans tous les sens ! Ça tournoie, ça fuse, ça catapulte ! Ça feudartifice à tout va ! Les lancers de cocktails enflammés forment comme un véritable mur de feu. Un authentique tir de barrage de SS Kampfgruppe (7) au plus fort de la bataille de Kharkov !

Dans la nuit on y voit presque comme en plein jour, et il fait subitement plus chaud. La pinède brûle avec de grands crépitements. Vacarme épouvantable, gerbes de flammes, hurlements d'outre tombe, odeur de chair brûlée. Des torches mi-humaines mi-animales se roulent alors dans la poudreuse en rugissant de douleur. Et, après quelques soubresauts, restent immobiles faces contre terre, à demi-calciné... puis plus rien. Les corps ne sont plus que des espèces de choses noirâtres, comme des tisons mal éteints de quelques gigantesques brasiers.  

Au petit matin, force est de constater que les dégâts sont considérables. Sur une zone de 200 mètres à la ronde, tout a cramé. Les quelques arbres effeuillés rescapés, se trouvent cisaillés net par les éclatement des troncs sous l'effet de la chaleur. Tout s'est liquéfié. Nous pataugeons dans la neige fondue et le sang, les branches cassées et noircies, les armes éparses et tordues, les restes que l'on devine humain et déjà raidis par le gel de l'aube. 

Ce combat fantastique sur les mangeurs d'homme, provoqua chez Lanceleau une joie cruelle. Il eut vraiment l'impression d'avoir mené une nouvelle guerre du feu, telle qu'on l'enseigne dans les écoles de Garde Royale. C'est tout l'esprit de la vieille chevalerie pyromane qui renaquit à travers les fumées et les cendres...

Plusieurs jours furent nécessaires pour déboucher de la forêt et aboutir sur un versant dégagé, couvert de neige, luisant à la lumière grise du crépuscule.

En contrebas, au fond d'une vallée serpentée, se dessinait alors un village dont l'éclairage et l'animation faisait penser à un féérique marché de Noël germanique :  Aalborg !

(à suivre)

(1).  Prince Alexander Constantine Eristavi, qui quitta sa Géorgie natale pour s'installer en Russie. Ce colon donc, vit son nom se transformer alors en Eristoff. Ce sang royal est à l'origine de la création de la Vodka du même nom, en 1806.A ne pas confondre avec un non moins célèbre navigateur français prénommé Christophe, Colomb lui aussi, mais pas de la même façon !    

(2). Caste sacerdotale pratiquant le culte solaire, la divination et l'oniromancie. Les élans adorent aussi se prélasser au soleil. A ne pas confondre avec un célèbre explorateur portugais décédé en 1521! Magellan

 (3). Vasques haut de gamme « Zena » en céramique : Design, Qualité et fabrication Italienne . A ne pas confondre avec  un illustre navigateur portugais (encore !) décédé en 1524 : un club de football de Rio de Janeiro, au Brésil, porte même son nom... (Vasco de Gama)

 (4). "Hostia !" : littéralement, c'est une hostie, et c'est un peu l'équivalent de "Non de Dieu !"

(5). Dans le langage militaire la défense en hérisson est une tactique militaire pour se défendre contre une attaque sur tous les azimuts. Sur le front de l'Est, l'armée allemande a utilisé ce système avec succès au cours des avancées soviétiques hivernales, notamment durant la bataille de Moscou en 1941. Les Français aussi l'ont reprise avec succès en Asie du Sud-Est contre le Viêt Minh à la bataille de Na San (1952)

(6). Sur le coup, il mériterait presque un maillot jaune, notre champion dopé... à l'adrénaline !Clin d'oeil au cycliste Lance Amstrong déchu de ses 07 Tour de France pour dopage.

 (7). SS Kampfgruppe : groupe de combat de la Waffen SS, qui s'inscrit ici  dans la phase finale de l'opération Barbarossa et qui vit sur le champ de bataille la 6e armée allemande s'opposer aux 28e et 38e armées soviétiques. Kharkov chuta le 24 octobre 1941.

Rififi chez les VikingsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant