Partie 35 : La Révolution de Palais

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Une diligence rapide passe en sifflant (1) et en dévalant des chemins caillouteux dans ma tête... Suis-je sous un tunnel ? Non, instantanément, c'est le jour et l'équipage s'éloigne. Je rouvre les yeux, aussitôt lucide. Tout est très net. J'ai l'impression de voir le pouce de la môme Hadda sur le bouton rouge, mais non. Je suis allongé sur une peau de je ne sais quoi. Je n'ai pas du tout mal au crâne. Au contraire, je me sens éminemment disposé.

Mon cerveau émet la prétention de me lever, mais mes membres ne peuvent lui obéir du fait qu'ils sont entravés avec de la corde. Je tourne la tête et j'aperçois Lance', encore endormi à mon côté. Au-delà de Lanceleau, il y a un immense tas de couleurs : le Roi Harald, envapé et pareillement garrotté, et puis le Devin Raidwaïne. Je me trémousse dans le sens contraire, et c'est pour apercevoir sir Eagle Hansell sur ma droite, pleinement réveillé. Il n'est pas seul puisque ses collaborateurs gisent aussi sur les peaux jonchant la pièce où l'on nous a saucissonnés et qui doit être la chambre à coucher de Sa Majesté.

En remuant encore la tête, j'achève de considérer les lieux. Je vois un grand diable quasiment nu, au crâne bas, au nez complètement aplati, qui affûte une hache, adossé à la porte.

Deux autres gus, courtois comme des crocodiles, sont assis sur le lit du souverain à la dent bleue et y dégustent chacun un gigot de renne en nous filant des regards sanguinolents.

- Well, il semblerait que les choses n'aient pas évolué comme vous le souhaitiez, depuis votre intervention ? remarque Eagle, sans gueuler.

- En effet, reconnais-je, il y a eu comme un problème.

- C'est-à-dire ?

- Le personnel amoureux enbastillé pour l'agrément de Sa Majesté, s'il fait montre d'une superbe conscience professionnelle, ne me paraît pas des plus dignes de confiance.

Et je lui relate ce qui s'est passé avec Hadda, comment la jeune fille nous a sauvé la mise, la manière dont elle m'a confié son lance-sommeil, et pour conclure celle dont elle l'a utilisé contre moi.

Eagle, très calmement (si si c'est possible !) hoche la tête autant que le lui permettent ses liens. J'ai d'ailleurs moins d'aversion pour lui depuis que nous sommes devenus compagnons d'infortune.

- Ces filles ont été enlevées pour la plupart dans une maison de plaisirs de Stockholm, dit-il, mais je crains, en effet, que nous ayons été joués par un troisième larron, my dear.

- Qui serait ?

- On ne peut que faire des suppositoires (2)...

Lance' fait entendre un vagissement.

- Pour moi ça sera un petit Pom' Rolls Juice, articule le chevalier, ça décrasse son homme !

Puis il refait surface et gronde :

- Mais qu'est-ce qu'on fout là !

- On se repose, l'artiste. Tous allongés à la même enseigne !

- Il s'est passé quoi t'est-ce ?

- Une révolution de palais, les demoiselles de petite vertu se sont rendues maîtresses de la situation après s'être servies de nous comme de détonateurs.

Il tète sa langue desséchée et grogne :

- T'es en plein délirium, mon pote, qu'est-ce que ces souris ont à fiche du Palais Royal !

- C'est ce que j'aimerais savoir !

Voilà que le Roi reprend conscience à son tour. Il s'offusque drôlement, le père Harald. Ligoter un souverain, il trouve qu'il faut on certain toupet. C'est faire montre d'une témérité forcenée. Les auteurs d'un pareil forfait seront châtiés.

Rififi chez les VikingsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant