Chapitre 36

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Plusieurs jours se sont succédés, mêlant mes journées à étudier l'Histoire de la noblesse, les bonnes manières, mais aussi la culture, la peinture et les différents règnes que nous avons connu. Le soir, les appartements de Mr. De Baivel se transformaient en nid d'amour. J'avais la sensation d'être dans une bulle hors du temps, je ne voyais rien de l'extérieur, rien de laid ou de dangereux. Je me laissai bercer par les récits que je lisais, mais aussi par les bras tendres et affectueux du pair. 
Même si j'appréciai ce temps passé à ses côtés, j'avais l'impression que ses trois jours d'enfermement correspondaient à trois mois. Être coupé du monde ainsi, savoir que les gens que l'on avait l'habitude de côtoyer nous pensait décédée, c'était troublant au possible. J'avais cette étrange sensation que mon identité s'était effacé quelque part. Mon prénom était employé au passé, Prudence était morte pour beaucoup d'entre eux. J'avais l'impression d'errer dans le château, sans nom, sans ombre. J'étais devenue un fantôme qui n'avait qu'une hâte : renaître. 

Au bout du quatrième jour, Mr. De Baivel ordonna à Caplin de se présenter à ses appartements. Bien sûr, ce dernier avait suivi le plan. Il était devenu l'ami de Mr. De Chenon et la couverture de cette entrevue avait été mûrement réfléchi. Le pair allait faire semblant de le menacer et l'instituteur devrait rapporter cette information au duc que nous essayons de traquer. En effet, il serait curieux que le pair ne cherche pas à obtenir vengeance. Cette excuse me laissait l'occasion de voir une nouvelle tête que celles des domestiques ou de Mr. De Baivel. Mais le plus important, notre allié allait pouvoir nous révéler l'avancement de notre quête. 

A l'instant même où les deux hommes pénétrèrent dans la pièce, l'instituteur me chercha immédiatement du regard. En me voyant, il se précipita à ma rencontre et m'entoura de son étreinte presque étouffante. J'échappai un petit rire alors que Mr. De Baivel surveillait la scène d'un œil, malgré lui un peu jaloux. 

- Je n'en reviens ! s'exclama Caplin. Enfin je veux dire... Bien sûr, j'ai été mis au courant, mais te voir en chair et en os ! C'est tellement rassurant.

Il prit mon visage entre ses mains et commença à presser gentiment sur ma peau comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. 

- Et wow, continua-t-il, ta robe est somptueuse ! 

Je reculai de quelques pas pour tourner sur moi-même. Mes tenues n'étaient pas aussi luxueuses qu'une noble, mais les étoffes que les domestiques ramenaient étaient largement au-dessus de mes moyens. Je me prêtais facilement au jeu, j'aimais la façon dont je m'habillais. Ces couleurs me plaisaient, je pouvais à présent choisir ce que je voulais sans me soucier de si cela plaisait à Mr. De Baivel, ou non. De toute manière, à l'écouter, j'étais belle dans toutes les robes qu'il me proposait. 

- Je suis heureuse de te voir aussi, Caplin.

Il m'étreignit une dernière fois et la voix du pair s'éleva : 

- Nous devrions commencer à discuter, maintenant. 

L'instituteur grimaça et reprit instantanément sa stature sévère et professionnelle. Je m'installai aux côtés de Mr. De Baivel et prit doucement son bras tandis que notre allié se mit en face de nous pour dialoguer plus facilement. 

- Ma relation avec Mr. De Chenon n'est, bien évidemment, pas aussi intime que ses plus anciens alliés. Je n'ai, par exemple, jamais eu l'occasion de pouvoir le voir interagir avec sa majesté le neveu du roi.

- Je vois, il était évident qu'il ne laisserait personne entrer dans son cercle fermé. Qu'en est-il de votre relation, alors ?

- Je suis d'abord l'instituteur du fils du comte de Tauvel, l'un de ses amis. C'est un très bon début selon moi, puisque ce dernier m'accorde une confiance aveugle. Son fils a fait des progrès spectaculaires et semble m'apprécier plus qu'il ne devrait. 

Ruban & Porte-jartellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant