Soleil

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Quand j'étais ado, j'avais entendu dire, en gamine bien sage et sans problèmes, par d'autres plus vieux et à la recherche d'auditeurs, que le meilleur but dans la vie était de vivre sans regrets. Foncer, laisser son cœur parler et croire en ses choix, quoi qu'il arrive. C'est ce que j'ai fait. Aujourd'hui, j'ai des ailes et un lac tout entier pour laisser mon cœur s'exprimer chaque fois qu'il en a l'occasion. Mais cela ne veut pas dire que je n'ai pas de regrets pour autant. En cela, on m'a un peu menti. Des regrets, on en a toujours forcément quelques-uns car aucune vie n'est complètement noire ou complètement blanche. Si c'était le cas, un choix ne serait pas un choix.

Pourtant, j'étais heureuse. C'était ce que je me disais alors que le soleil dardait ses rayons sur mon lac. En ce milieu d'après-midi d'été, alors que les enfants jouaient autour du lac sous l'œil de leurs parents ravis de leur congé, au-dessus de l'eau verte et profonde, portée par mes ailettes cristallines, je faisais la planche dans les airs et me chauffais agréablement en-dessous de l'astre voisin de mon patron, les yeux fermés et un sourire aux lèvres.

Il restait encore des équations inconnues à ma nouvelle vie mais qu'importait. Tant que je serais avec Jack, tout irait bien.

Soudain, je sentis mes ailes battre de plus en plus péniblement puis s'immobiliser tout à fait. Incapable de les dégourdir, stupéfaite, je me sentis aussitôt chuter comme une pierre et poussai un cri. C'est alors que quelque chose m'attrapa au vol et me coupa le souffle.

« Et alors, la nouvelle, on lézarde ? C'est pas très sérieux, tout ça !

-Jack ! M'écriai-je alors qu'il me dégelait les ailes. Espèce d'imbécile ! T'as failli me tuer !

-Si on pouvait tuer une « niphe » comme ça, ça se saurait, dit-il avec un sourire en coin.

-Je suis une nymphe ! Une-euh nymphe-euh ! Tu vas apprendre, un jour ?

-Bah, c'est pareil. De toute façon, j'ai plus de pouvoirs que toi. C'est toi-même qui l'as dit !

-Que... ? Balbutiai-je en me dégageant de ses bras. Attends, j'ai peut-être pas les mêmes pouvoirs mais tu vas voir s'ils marchent moins bien que les tiens !

Bien sûr, avant même que je l'attrape, il avait déjà filé dans les hauteurs et continuait de me narguer, sous les rire des enfants qui nous regardaient. Vexée, je me lançai aussitôt à sa poursuite dans le ciel, en haut, en bas, à gauche, à droite, comme un oiseau qui essaierait de capturer une mouche.

-Reviens ici !

-Je suis là !

-Il est où ?

-Non, là !

-Tu vas voir !

-En fait, je suis là !

Après plusieurs vaines tentatives pour l'attraper, sachant que je ne maîtrisais les quelques techniques de vol de Jack que depuis quelques mois, je finis néanmoins par l'attraper dans le dos et me serrai contre lui en collant ma tête contre sa nuque. Surpris, alors que l'adrénaline coulait encore dans ses veines, il finit par s'attendrir et se colla un peu plus contre moi. Pendant un instant, nous demeurâmes suspendus dans la voûte céleste, isolés du reste du monde.

-Au fait, tu as remarqué ? Lui dis-je doucement à l'oreille.

-Non, quoi ?

-A cette hauteur, il n'y a plus de vent. Dommage !

Sans plus de cérémonie, j'ouvris les bras et le laissai tomber lourdement vers la terre à plusieurs dizaines de mètres en-dessous de nous. Stupéfait, il se mit à son tour à agiter vainement son bâton dans tous les sens pour appeler le vent absent et se mit à hurler de panique. Après un court décompte de son temps de punition, je descendis en piqué vers lui et le rattrapai juste au moment où il allait toucher l'eau. A cette performance, les gamins autour du lac sifflèrent et applaudirent, sous l'œil étonné de leurs parents qui se regardèrent entre eux puis se mirent à sourire. Depuis le temps qu'ils connaissaient la capacité imaginative de leurs gosses et leurs amis, ils avaient abandonné toute logique avec eux dans ce domaine depuis longtemps.

-Un commentaire, monsieur superpouvoirs ? Demandai-je à Jack que je portais dans mes bras, triomphante.

-J'ai fait exprès de tomber. C'était pour que tu ne te vexes pas.

-Mais oui, c'est ça, répondis-je en imitant la mine boudeuse de Jack.

C'est alors qu'une douleur fulgurante, comme un coup d'épée, me traversa soudain l'épaule droite et que je me mis à voler de travers.

-Oh non, ça recommence !

Avant que je ne puisse dire un mot de plus, mes ailes me lâchèrent et nous tombâmes tous les deux dans l'eau. Lorsque Jack refit surface, il me regarda, ignorant ses cheveux trempés qui lui retombaient sur les yeux :

-Tu t'es encore froissé une aile ?

-Je crois, oui.

Il nous fallut rejoindre la berge à la nage. Une fois assise sur la terre ferme, en les agitant, je sentis effectivement celle de droite se raidir contre mon omoplate, tordue, ce qui me fit tiquer. Assis derrière moi, Jack s'occupa à la manipuler délicatement en me massant le dos.

-C'est pas facile de s'y faire, à ces machins, grognai-je.

-Prends ton temps avec ça. Ne brûle pas les étapes. Moi, je trouve que tu t'en sors super bien.

-Tu crois ?

-Oui.

-Alors embrasse-moi.

Doucement, Jack se tourna de mon côté, ferma les yeux et posa ses lèvres sur les miennes en me serrant dans ses bras. Moi-même, je soupirai de plaisir à ce contact. Lorsque nous nous séparâmes, il me sourit.

-Je t'aime.

-Moi aussi je t'aime, idiot.

-Jack ! Nina ! Arrêtez, c'est dégoûtant !

Alors que nous étions partis pour un deuxième baiser, Jamie, un cher ami commun, s'était approché de nous dans notre dos.

-Salut, Jamie ! Toujours aussi mature d'après ce que j'entends, lançai-je, fidèle à mon image de babysitteur chevronnée.

-Eh ! Je suis encore petit, moi !

-T'as raison, te laisse pas faire, répondit Jack alors qu'ils pratiquaient leur poignée de main personnelle.

-Check, check et check! Alors, qu'est-ce qui t'amène ici ?

-Vous allez pas me croire si je vous le dis. » Nous répondit-il avec son sourire fier de gardeur de secrets, prêt à être supplié.

Jack F., Elsa et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant