Jack F., Elsa et moi

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« C'est là ?

-Tout à fait. Je ne vous suis pas plus loin, j'ai cru comprendre qu'il valait mieux vous laisser seuls.

-Il vaut mieux, oui. » Répondit sèchement ma mère lorsque Kristoff les laissa à l'entrée du lac.

Le jour où j'ai parlé à Bunny, nous étions un jeudi. Quand Kristoff m'a parlé d'Elsa, c'était vendredi. Hier, samedi. Donc aujourd'hui, nous étions dimanche. Et je ne m'attendais à retrouver mes parents si tôt.

Lorsque je vis ces deux silhouettes tituber parmi les hautes herbes en se tenant par la main mais sans s'adresser un seul regard, je ne les reconnus pas tout de suite. Puis lorsque je distinguai mon père, puis ma mère à ses côtés, j'eus un choc. Moi qui ne les avais jamais vus ensemble, je trouvai ce couple étrange, comme si je voyais le monde avec deux yeux de deux personnes différentes, toutes deux sorties du passé.

Je n'osai pas tout de suite les appeler. Je voulais encore un peu les observer en silence sans qu'ils me voient. Eux-mêmes fouillaient encore des yeux le lac qu'ils croyaient vide. Tous deux demeuraient muets en progressant dans le marais puant qu'était devenu mon domaine. Dans ma torpeur, je me dis que je devais faire quelque chose pour eux, qu'ils ne soient pas venus pour rien. Et je voulais les serrer de nouveau dans mes bras.

Lentement, comme une vieille femme, je coulais de mon rocher jusqu'à la berge et, à l'aide d'un roseau, je commençai à dessiner sur le sable humide de la berge. En entendant les raclements, tous deux s'approchèrent et je m'interrompis. Je souris intérieurement lorsqu'ils regardèrent dans la boue, stupéfaits, une esquisse de mon portrait auquel il ne manquait que les pupilles. Une fois de plus, ils regardèrent de tous les côtés et jetèrent même des regards en arrière en direction de la forêt. En les regardant d'aussi près, je me dis que, physiquement, ils n'avaient pas beaucoup changé, eux. Une vague de culpabilité m'envahit. Mais, décidée, sous leurs yeux, je finis de dessiner les miens. Alors ils relevèrent la tête et ma mère poussa un cri, les yeux agrandis par l'horreur. A son tour, mon père avança au-devant d'elle, le visage lui aussi crispé de stupeur. Je n'osai pas bouger. Courbée comme un démon et tremblante, je devais faire peine à voir. Pourtant, au simple contact qui venait de s'établir entre nous, je sentis un peu d'énergie fluer à nouveau dans mes membres et au creux de mes épaules. Alors, timidement, au soleil descendant derrière les nuages, je leur présentai ma figure.

« C'est moi. »

Le simple son de ma voix, aussi faible qu'il fut, suffit à les empêcher de partir. Sans conviction, ils se rapprochèrent, mon père en premier, et m'encouragea à le regarder plus longtemps dans les yeux en se tenant fermement devant moi. Je ne me souvenais pas qu'il fût si grand. A ses côtés, prêt à le retenir à son tour, ma mère attendait son verdict. Sur son visage, je fus soulagée de voir l'espoir se transformer en certitude lorsqu'il entoura le mien du bout de ses doigts.

« C'est elle. Nina. » Prononça-t-il d'une voix surprise de ses propres mots.

La chaleur de ses mains, maintenant pleinement posées sur mes joues, me réchauffa, et je me crus sur le point de tomber en morceaux lorsque ma mère à son tour se jeta sur moi et me serra contre elle, hystérique.

« Nina ! Ma petite Nina ! Ma puce ! J'ai eu si peur !

-Chérie, s'il te plaît, attention. » Demanda papa en posant une main sur l'épaule de maman lorsqu'il remarqua la peine avec laquelle j'eus du mal à la contenir, bien qu'elle fut plus petite que moi. J'eus aussi du plaisir à entendre le mot « chérie » lui échapper pour la désigner.

Bien sûr, l'explication fut longue, pénible, parfois compliquée à raconter dans les détails. Mais, comme Jack Frost et moi la première fois que nous nous étions rencontrés, pour eux, la réalité allait être difficile à voir autrement, à présent.