Plomb

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J'étais de retour à la case départ. Une fois de plus, le temps était mauvais et lac désert. Sous le ciel d'un gris de plomb, j'observai la surface de l'eau : il me semblait qu'elle aussi était plus sombre que d'habitude, non seulement à cause des reflets du ciel, mais qu'elle était aussi plus boueuse. Aujourd'hui, j'en distinguais tout juste le fond et les grenouilles osaient à peine en sortir leur tête. Même les roseaux, avec leurs pointes se balançant dans le vent, trop lourdes pour leurs tiges, semblaient hocher la tête face à un triste présage.

« Vous avez l'air troublée, entendis-je une voix familière prononcer.

Au bord de la rive, j'aperçus le reflet de Kristoff, toujours assis sur le même banc, raide et droit comme une statue sculptée à même la pierre.

-Vous êtes encore là.

-Je suis toujours là, répondit-il en souriant.

Fatiguée de contempler l'eau sale, je posai le pied au sol et m'assit sur le banc à ses côtés comme une humaine ordinaire. Pendant quelques secondes, je demeurai silencieuse. Voilà longtemps que je n'avais pas regardé le lac en simple spectatrice.

-J'espère que vous ne m'en voulez pas de n'être pas venu vous voir plus tôt. Il a fallu que je m'absente un moment, nous avons organisé une battue dans les bois.

-A la recherche de quoi ?

Kristoff me regarda d'un air étonné.

-De Hans, du criminel, quelle question !

Sa réponse me prit véritablement de court et je riais nerveusement pour cacher mon malaise.

-Quelle idiote, me dis-je tout haut. Excusez-moi. J'ai la tête tellement encombrée d'autres pensées que je n'ai même plus pensé à m'informer sur Hans. Quelle pitoyable gardienne je fais.

Sans que je m'y attende, avec une grande douceur, Kristoff approcha son bras et serra ma main dans la sienne.

-J'y suis sans doute pour quelque chose. Je n'aurais jamais du vous dire ce qui s'est passé entre ma reine et Jack Frost.

-Non, au contraire. Vous avez bien fait, le rassurai-je. Vous cherchiez simplement à me dire la vérité.

-Alors comme moi, vous devez sûrement penser que c'est sur la vérité que doivent reposer les véritables amitiés, poursuivit-il en exécutant un chaste baise-main.

Une fois de plus, ses manières princières me firent sourire et m'allégèrent un peu le cœur.

-Nina, dit-il en me regardant soudain droit dans les yeux d'un air intense, au nom de cette amitié, il faut que je vous parle de la vraie nature d'Elsa. De nous tous, Hans n'est pas le seul à cacher ses véritables intentions.

Son air grave me préoccupa et je me retournai entièrement vers lui, attentive.

-Savez-vous qu'il y a de cela un an, tout au plus, la ville d'où je viens, Arendelle, s'est retrouvée prise au piège d'un hiver destiné à être éternel ? C'était une vision de cauchemar. Les fontaines gelées, les bêtes engourdies, les plantes éclatant sous la morsure du givre et ce froid, un froid cruel s'engouffrant dans toutes les fissures, dans les vêtements, dans les chausses au point que le moindre pas était aussi douloureux que de soulever une planète par la force de ses jambes… Et savez-vous qui en était responsable ?

Je demeurai muette. En parlant, le visage de Kristoff s'était endurci. Il semblait revivre la scène.

-Il y a de cela un an, « Sa Majesté » était devenue complètement folle. En ce temps, notre criminel avait déjà commencé à mettre en place son plan de génie mais, elle, dans un bête instant de fureur, avait déjà congelé tout le royaume et ses citoyens innocents. Incapable d'assumer ses actes, elle s'est enfuie dans les montagnes avec l'armée à sa poursuite. A ce moment-là, Hans n'a pas su reconnaître en elle une véritable reine. Certes, on reproche à Hans ses crimes contre la couronne, mais c'est oublier qu'alors, la couronne elle-même n'était plus si sûre. Quiconque en porte une doit savoir la garder envers et contre tout, calculer ses coups sans faire de sentiments et manier son royaume d'une main de fer !

En parlant, Kristoff s'était agité jusqu'à se retrouver debout, l'œil éclairé d'une étrange fureur et serrant le poing. Soudain, honteux, il épousseta son costume, marqua un temps pour retrouver sa contenance et se rassit dignement.

-Ce n'est un secret pour personne, notre reine a toujours été une personne très solitaire et ce, depuis sa plus tendre enfance. J'ai vu, nous avons tous vu son vrai visage, quand bien même il faut le taire au nom de la paix. Cette jeune femme est prête à tout pour obtenir ce qu'elle veut. Et lorsque les choses ne se déroulent pas comme elle le souhaite…

Kristoff fit mine d'avoir un frisson puis se tourna vers moi d'un air effrayé.

-Il vaut mieux la laisser avoir ce qu'elle veut, me dit-il d'un air entendu.

Etait-ce possible ? Une femme si douce, avec ce regard si triste… Pouvait-elle vraiment cacher un tel monstre ?

-Je ne la laisserai pas avoir Jack, prononçai-je d'une voix déterminée.

-Je vous en prie, ne dites pas une chose pareille ! S'exclama alors Kristoff, affolé. Il ne faut pas que ça se sache. Dites-vous qu'il y a des choses qui ne peuvent pas être contrôlées. Les choses passeront sans doute d'elles-mêmes. Et sinon…

-Sinon, je suis prête à me battre, continuai-je. Je suis gardienne et je protège. Qu'on se le tienne pour dit.

Une fois de plus, Kristoff grimaça.

-Très bien. En cela, vous êtes sans doute moins lâche que moi. Ceci dit, dit-il en se penchant vers moi sur le ton de la confidence, il ne faut pas que les choses que je vous ai dites se sachent, surtout venant de moi. Ma demande va sûrement vous paraître trop franche mais, au nom de l'amitié, promettez-moi que, si la reine venait à se retourner contre moi, j'aurais votre protection.

-Je vous le promets, répondis-je d'une voix presque automatique, les yeux emplis de batailles invisibles toutes plus féroces les unes que les autres.

De nouveau, Kristoff prit ma main entre les siennes pour et y déposa ses lèvres en les y gardant longuement comme un sceau sur un contrat entre deux puissances alliées.

-Soyez sûre que nous nous reverrons. Portez-vous bien. » Me dit enfin le soldat avant de me saluer, ce que je remarquai à peine. Heureusement, il ne sembla pas le prendre mal et garda son sourire cordial jusqu'à ce que nous nous quittions des yeux.

Jack F., Elsa et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant