Jack F., Elsa et moi

Jaloux

Entre un accident de lutins/yétis à l'usine de Nord et Sab en train de souhaiter bonne nuit aux gamins du Japon, il me restait peu de chances de trouver encore quelques bons conseils.

« Fée ? T'es là ? » J'appelai aux portes de la volière qui lui servait de royaume.

Comme d'habitude, le domaine bourdonnait, vrombissait, pépiait, chacune des millions d'ouvrières occupée à virevolter dans tous les coins de droite à gauche et de haut en bas pour transférer pièces et dents de lait aux bons endroits, parfois si pressées qu'elles en venaient à frôler mon visage sans m'apercevoir. Pourtant, à travers le brouillard de plumes colorées, je ne distinguai pas leur reine. J'appelai une seconde fois, incapable d'entendre ma propre voix à travers leur jacassement permanent.

« Elle est pas là. Quenotte guide de nouvelles recrues en mission pour la nuit, entendis-je une voix grave répondre dans mon dos.

Je sursautai et me retournai en reconnaissant Bunny qui était rentré derrière moi.

-Et pourquoi Fée est partie avec elle ?

-Quenotte avait le trac. Elle est la guide de la guide, expliqua-t-il en cachant mal son propre agacement.

Moi-même, je soupirai, découragée.

-Qu'est-ce que tu fais ici ? Me demanda-t-il en s'adossant au mur de l'entrée, résigné.

-Je voulais lui demander des conseils pour un truc, dis-je en m'asseyant à ses côtés.

-C'est pas trop compliqué ? Si c'est ça, peut-être que je peux t'aider, moi aussi.

Sa nonchalance me désarma et, en sentant son regard insistant sur moi, je me sentis soudain prise de timidité et demeurai silencieuse.

-C'est comme tu veux, continua-t-il en haussant les épaules. Personnellement, j'ai rien à faire jusqu'au printemps prochain donc tu sauras où me trouver.

-Attends ! Dis-je en le voyant prêt à quitter le domaine d'un bond. A vrai dire... j'aurais préféré en parler entre filles, surtout connaissant Fée... Mais, après tout, peut-être que tu peux m'aider, toi aussi. Tu es concerné après tout.

-Je suis concerné ?

A présent à l'écoute, ses deux larges oreilles dressées de toute leur hauteur, Bunny se retourna de nouveau et me fit face.

-Un peu. C'est à propos de Jack.

Sans surprise, à l'évocation de ce nom, les pupilles du lapin se rétractèrent.

-Ça m'aurait étonné, grogna-t-il. Qu'est-ce qu'il a fait, cette fois ? Il a encore gelé le pique-nique d'un randonneur ?

-Non, c'est pas ça. C'est... C'est pas que lui. Je suis peut-être folle. C'est à propos de lui et Elsa.

En évoquant ce nom, il me fit l'effet d'un poison réparti sur toute ma langue.

-Tu vois ce que je veux dire ou pas ?

Sous ces épais sourcils noirs, Bunny me regarda d'un air interrogateur.

-Je ne te suis pas.

Agacée, me retenant d'exploser, je tâchai de trouver les mots tout en gardant un œil sur le guerrier qui me faisait face.

-Bunny, lui demandai-je en prononçant précautionneusement chaque mot, qu'est-ce que tu ferais si je te disais que « je pense que » Fée a encore des vues sur Jack ?

A cette question, soudain décontenancé, le puissant guerrier se mit à pâlir.

-Ce que je ferais ? Ce que je ferais ? Répéta-t-il d'une voix contenue. Ce que je ferais, c'est que j'irais tranquillement discuter avec ce charmant jeune homme. Et j'irais lui péter son grand sourire blanc et ensuite répartir tout le reste pour m'en faire de la glace pilée ! Voilà ce que je ferais !

-Toi aussi, c'est ce que tu sens ? C'est vraiment tout ce que tu ressens ? Pas de tristesse ? Pas d'angoisse ? Pas de peur d'être dans l'erreur et d'avoir tout faux ? Même après t'avoir dit que ce n'est que « ce que je pense » ?

En me voyant soudain voler tout près de lui, alors que moi-même je ne m'en rendis consciente qu'en même temps que lui, il tomba en arrière et s'assit, penaud.

-Non. Je ne sais pas. Peut-être que ce n'est pas la bonne solution. Il faut réfléchir, après tout, admit-il piteusement. Mais effectivement, c'est la première réaction qui me viendrait à l'esprit.

De nouveau, pensive, j'atterris à ses côtés et regardai le sol comme pour y voir nager mes propres réflexions.

-Mais comment faire pour s'en débarrasser ? Je veux dire, je sais que Jack ne me ferait jamais une chose pareille. Et pourtant j'arrête pas de me dire... il y a une toute petite voix au fond de ma tête qui me dit... Et s'ils étaient mieux sans moi ?

-Qui ça ? Elsa et Jack ? Mais non, arrête, t'es ridicule !

-Pas tant que ça, je me dis. Ils s'entendent comme s'ils étaient venus du même monde, ça a été instantané dès qu'ils se sont vus. Et tu verrais tout ce qu'ils arrivent à faire ensemble... tandis que moi, je n'arrive toujours pas à maîtriser tous mes pouvoirs. J'ai même failli provoquer la mort de Sophie. Ça va de mal en pis.

-Mais non, ça ne va pas de mal en pis. Tu es ridicule, répéta Bunny comme un disque rayé.

-T'es sûr ? Comment je peux te croire si tu fais que me dire ça ? Je demandai en le regardant droit dans les yeux, le cœur battant.

Dans le silence noyé par le vacarme des petites fées, à son tour Bunny baissa la tête, visiblement intimidé par mon regard, avant de reprendre en me regardant de nouveau, sérieux mais mal à l'aise.

-Je sais juste qu'il ne ferait pas ça, c'est tout. Je le connais. J'ai pas les mots pour expliquer, c'est pas mon point fort. Mais je sais que Jack ne ferait jamais ça à toi. Il est comme moi, sur ce coup-là.

Devant sa franchise, je me retrouvai muette. J'étais incapable de lui dire que, comme un gouffre, sa bonne parole n'avait pas satisfait le monstre qui se nourrissait en moi. Je lui souris.

-T'as sans doute raison. Il faut juste que je me change les idées.

Alors que je lui tournais le dos et m'apprêtai à m'envoler enfin hors des mondes des gardiens, je sentis soudain une énorme patte me saisir le poignet.

-Je sais que c'était un exemple que t'as pris au hasard mais... Fée, tu penses pas vraiment qu'elle a encore des vues sur Jack, hein ? »

Devant son regard plein de désarroi, tout en le rassurant, j'hésitai entre le rire et la pitié. Sur ce coup-là, il était comme moi et j'étais comme lui.