Chapitre 2

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                                                   ELIAS

J'avais perdu le compte du nombre d'heures que nous avions passées dans ce voyage. D'abord, nous avions pris le ferry en partance de Belfast jusqu'à Cairnryan, puis avions fait cinq heures de voiture sur des routes à lacets jusqu'à Inverness. Je remuai nerveusement sur mon siège, j'avais envie de gerber. Je me rongeai les ongles jusqu'à les laisser sans peau, alors que le chat que je venais de libérer du panier de transport commençait à fureter dans le sac qui contenait des biscuits.

Déménager en Écosse, quelle idée !

Je pensais qu'après avoir quitté ce pays cinq ans plus tôt, nous ne reviendrions jamais. Ou qu'au pire, nous déménagerions dans un endroit ensoleillé. Un endroit où j'aurais pu oublier ma vie en Irlande. Cela aurait été moins terrible s'ils m'avaient emmené sous un climat printanier, plutôt que revenir ici où le climat était identique à celui que nous avions laissé. Je me voyais aller au lycée en tongs et en short, c'était loupé. J'avais eu beau me plaindre, cela n'avait servi à rien. J'avais tout à reprendre de zéro et entrer dans un nouveau lycée.

Nous quittions un pays en plein conflit religieux depuis les années 70 pour nous réinstaller ici. C'est l'excuse qu'ils avaient donné à nos voisins. Pour moi, c'était impensable, il manquait le soleil, et je n'avais aucun ami. Pour eux, c'était l'opportunité d'un futur prospère. Voilà comment avaient vendu notre déménagement les deux imbéciles qui se marraient sur les sièges avant en s'extasiant sur la beauté du paysage. Heureusement qu'ils ne pouvaient pas lire dans mes pensées.

— Tu vois Elias, il y a le lac, lança ma mère en rompant le silence alors que nous traversions un autre pont.

Normalement, c'était le dernier avant d'arriver chez nous. J'inspirais, puis laissais sortir lentement l'air de mes poumons.

— Oui, j'ai compris il y a cinq minutes quand on l'a traversé la première fois. Et c'est toujours la même chose, merci !

J'appuyai la tête contre la vitre latérale en observant les alentours. Peu importait mon avis, je n'avais pas le droit au vote. J'avais essayé de trouver un côté positif à ce déménagement avec la possibilité de rencontrer d'autres personnes, mais quelque chose au fond de moi m'en empêchait. J'avais le pressentiment qu'ils avaient remisé dans un coin de leur esprit ce que j'étais en balayant d'un simple coup de plumeau ma vie à Belfast. Nous devions partir, un point c'est tout. La proposition de mutation de mon père était tombée comme un miracle quand nous en avions le plus besoin.

Quand "Ils" en avaient eu le plus besoin... Moi, je me portais très bien.

Déménager ne me dérangeait pas, mais leur mensonge, oui. Je n'étais plus l'enfant de cinq ans qu'on devait appâter et lui promettre une sortie pour ranger ses jouets avant de monter dans la voiture. La vérité aurait été plus simple et honnête à mes yeux. J'avais 15 ans.

— Regarde, c'est ici.

Ma mère signalait une maison qui semblait assez ancienne, séparée par une haie d'une habitation similaire à la nôtre. Mon père se gara devant l'entrée et je repérais une différence notoire entre celle que nous habitions dans un village près de Belfast et celle-ci qui n'avait pas de garage.

— Tu le savais ? Demandai-je à mon père en lui tapant sur l'épaule ?

— Qu'est-ce que je devais savoir ? répondit-il en mettant le frein à main.

— Vous devrez supporter la musique dans ma chambre ! Si toutefois j'en ai une, lançai-je avec sarcasme.

— Tu en as une, ne t'inquiètes pas, s'exclama ma mère en soufflant et en ouvrant la portière. Tu t'es plaint pendant tout le voyage, douze heures de jérémiades ! Nous ne serions pas ici, si...

Jusqu'à ce qu'il cesse de pleuvoir (DISPO SUR AMAZON) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant