Chapitre 6

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                                           LEVY

Le jour se levait sur Inverness. Tous les matins depuis un an, je regardais à travers les carreaux, les yeux rivés sur la fenêtre de la chambre d'Elias. J'attendais qu'il apparaisse et fasse le petit geste habituel qui m'indiquait qu'il était prêt à partir au lycée. J'attendais en trépignant, les yeux rivés sur les éclaircies que les nuages qui se profilaient à l'horizon allaient finir par dévorer. S'il ne se dépêchait pas, nous arriverions trempés en cours une fois de plus. Je retins un rire quand il se montra enfin, les cheveux complètement ébouriffés. Il ne s'était toujours pas coiffé. Les cheveux d'Elias voyaient rarement le peigne. Pas comme les miens que ma mère recoiffait tous les matins dès que je sortais de la salle de bains pour rajouter du gel et les plaquer sur ma tête comme dans les années cinquante. Elle répétait le même rituel depuis des années, en fait depuis... toujours.

Je ressemblais à une vieille relique trentenaire. Mes vêtements étaient pareils, classiques, ternes, et semblaient sortir d'un autre temps. Pull à losanges et pantalons en toile de coton molletonné. Je dépareillais à côté de mon voisin toujours vêtu de jeans et de sweet-shirts à capuche à la dernière mode.

— Levy ! tu vas être en retard chéri !

— J'arriiiveee maman !

—Levy, qu'est-ce que c'est que ce ton ?

— Excuse-moi maman, répondis-je en baissant le regard sur mes chaussures.

Je sortis de ma chambre en courant, pour enfiler mon manteau en laine grise et enrouler mon écharpe autour de mon cou avant de mettre mon sac à dos derrière mes épaules.

— A ce soir maman.

— Attends, tu pars sans m'embrasser ?

Je soupirais en silence un peu énervé, impatient de retrouver mon camarade et de faire le chemin en sa compagnie.

J'adorais ma mère, mais depuis le départ de mon père, elle me surprotégeait. Je n'avais pas besoin de ça. Du haut de mes quinze ans, je vivais avec l'impression d'en avoir tantôt cinq, tantôt cent. Depuis l'arrivée d'Elias, le lycée était presque devenu une bouffée d'oxygène, c'est dire. La bande qui me faisait la vie impossible au collège avait atterri dans le même lycée. Je faisais mon possible pour ne pas me faire remarquer, me tenant à l'écart sans faire de bruit. Le jour de la rentrée, ils m'avaient fait la première crasse en se moquant ouvertement de moi. J'avais l'habitude de me faire traiter de "gogole" et d'autres noms d'oiseau, mais en présence d'Elias, j'en ressentis plus de honte que d'habitude. Ma bouche était restée fermée. J'étais incapable de répondre et de les envoyer balader. Il s'était avancé vers eux, en avait attrapé deux par leur tee-shirt et les avait sérieusement secoués et menacés. Ce jour-là, il devint mon héros. Un héros qui ne vivait pas dans les livres, il était bien réel. Je m'inventais des histoires le soir avant de m'endormir dans lesquelles nous étions deux highlanders forts et courageux. Il était le chef, celui qui me sauvait à chaque fois. Depuis, plus personne ne me pourrissait la vie au lycée. Ils m'ignoraient et me laissaient tranquille. Elias était le seul que j'avais laissé entrer dans mon univers. Je voulais que cela reste comme ça.

J'avais un an de moins que lui, mais j'étais en avance d'une année. Nous eûmes la malchance de nous retrouver dans des classes différentes, du coup, nous nous voyions très peu en semaine. Nous nous retrouvions dans la cour quand nos moments de pause concordaient et au réfectoire pour les repas. Depuis la rentrée, sa mère le laissait sortir au compte-gouttes, alors les week-ends n'étaient pas différents. Les études passaient avant tout le reste. Sur l'insistance de ma mère, ses parents, l'autorisèrent à nous accompagner un samedi soir au cinéma voir le dernier Star Wars. Sa mère était d'une gentillesse rare, mais sa sévérité était sans limites. Alors il faisait ce qu'elle lui demandait, pour ne pas la fâcher et finir encore pire qu'un moine dans un couvent. Je me demandais ce qu'il avait fait en Irlande pour être tenu en laisse comme un chien depuis l'entrée au lycée.

Jusqu'à ce qu'il cesse de pleuvoir (DISPO SUR AMAZON) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant