Chapitre 14

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                              LEVY

    La présence d'Elias devant moi, dans ce presbytère, me laissa statufié sur place. La phrase qui commençait à se former sur le bout de ma langue s'effaça, sans avoir pu traverser mes lèvres. J'arrivais à peine à détacher mon regard de celui de l'homme qui se tenait devant moi. Ses yeux noirs ressemblaient à deux obsidiennes.

Je l'observai quelques secondes, et un froid s'insinua en moi. Rien de cohérent ne traversa mon esprit. J'ouvris la bouche, mais la refermai aussitôt. Je réitérai la tentative de décrocher, au moins une parole face à son regard perçant, avant de voir un semblant de sourire se dessiner au coin de ses lèvres.

Elias...

Son regard sombre ne se détachait pas de moi. Et la façon qu'il avait de mordiller sa lèvre inférieure sonnait comme une promesse perdue entre des draps froissés.

— Oui, Levy, c'est bien moi.

Je le détaillai de haut en bas. J'avais le souvenir d'un adolescent toujours habillé à la dernière mode qui ne se coiffait jamais. Je retrouvais un homme, parfaitement apprêté, vêtu d'une chemise et d'un pantalon noir de bonne facture. Des cheveux brun foncé à la coupe impeccable, un visage à la mâchoire carrée, et un teint qui laissait à penser qu'il avait profité du soleil. Mais ses yeux étaient toujours les mêmes, rieurs et lumineux, même si je percevais au fond de ses pupilles une tristesse que seul quelqu'un qui avait côtoyé l'ado joyeux qu'il avait été pouvait percevoir. Si différent de moi.

Mais ce qui me choqua le plus était le col blanc autour de son cou. Je suffoquai presque.

Nous n'échangeâmes que quelques banalités. De quoi aurions-nous pu parler le matin sur le bord d'un trottoir quand nous nous étions vus par hasard ? Ou plus tard, dans le bureau d'un presbytère ? J'étais tellement troublé que j'omis de lui demander où il vivait, mais je supposai qu'il avait posé ses valises à l'endroit même où il officiait. J'espérais au fond de moi le recroiser au détour d'une rue. Je ne comptais pas assister à l'office du dimanche au risque de le voir en soutane. Non, ça, ce n'était pas possible. Pas Elias !

Je pris ma voiture pour me rendre sur le chantier. J'étais en retard comme d'habitude et Paul devait m'attendre en râlant.

Le vieux propriétaire avait conservé le petit manoir en bon état, mais laissé la chapelle à l'abandon. Les blocs en grès brut avaient déjà été livrés quelques semaines plus tôt, ainsi que quelques poutres de charpente en chêne. Juste avant l'arrivée des deux tailleurs de pierre, André et Vincent, et de Paul, le charpentier qui arrivaient du sud de la France. Trois compagnons du devoir avec une expérience incroyable. Ils discutaient joyeusement autour d'un café quand j'entrai dans l'atelier. Ils logeaient dans un appartement mis à leur disposition à Inverness par l'évêché, et profitaient de leur pause pour détendre leurs muscles plus que sollicités.

Je me dirigeai vers les trois hommes, installés à l'entrée d'une dépendance du manoir, proche du chantier dans laquelle ils avaient disposé leurs outils. Je regardai le bloc posé sur l'établi en pierre, où une esquisse de ce qui ressemblait à un épi de maïs apparaissait, et devait remplacer le morceau effrité d'une des colonnes. Je me demandai où ils trouvaient la patience pour réaliser aussi minutieusement les détails. Leur travail était remarquable de précision.

— Bonjour, Levy lança le plus jeune en se levant.

— Bonjour, Vincent, lui répondis-je en tendant la main, souriant devant son accent.

Il était le seul des trois qui parlait correctement l'anglais. Les deux autres se contentaient de faire traduire ce qu'ils voulaient me dire. Je les saluai et Paul le charpentier me fit un geste, m'invitant à m'asseoir sur un morceau de pierre qui servait de tabouret. Il se leva pour me servir un café dans un gobelet en plastique. Je le remerciai, il me sourit. Il connaissait les mots pour saluer et les formules de politesse, mais pas toutes.

Jusqu'à ce qu'il cesse de pleuvoir (DISPO SUR AMAZON) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant