Chapitre 1

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LEVY

- Tu as acheté ce que je t'ai demandé ? me demanda ma mère en levant la voix depuis la salle de bains.

- Oui, j'ai tout laissé dans la cuisine.

Si mon père avait été là, quelque chose d'aussi absurde comme parler en criant depuis des pièces opposées lui aurait crispé les nerfs. Malgré les émotions qui me submergeaient quand je pensais à lui, la liberté de pouvoir m'exprimer librement, sans peur des reproches, avait quelque chose de positif.

Je m'approchai du couloir quand ma mère sortit de la salle de bains. Elle semblait fatiguée et faisait son possible pour le dissimuler. Elle avança vers moi, déposa un baiser sur mes cheveux et fila vers la nouvelle chambre qu'elle occupait pour finir de se préparer. Elle avait investi celle des invités qu'elle occupait depuis quelques mois. Elle travaillait à l'hôpital le matin où elle avait négocié des horaires fixes après plusieurs années à alterner des factions inhumaines. puis, elle filait faire quelques heures supplémentaires dans un centre pour enfants handicapés. Entre- temps, moi, je vivais dans une solitude que d'autres ados de mon âge auraient considérée comme un privilège.

- Je ne comprends pas pourquoi tu dois faire un gâteau pour ces gens ! criai-je pour me faire entendre en descendant les escaliers derrière elle. Tu vas être en retard à ton boulot.

- Ça s'appelle de l'éducation Levy, lança-t-elle en revenant dans la cuisine.

Je levai les yeux vers le plafond derrière son dos, murmurant avec une grimace la même chose qu'elle venait de dire.

- Ça s'appelle se faire chier pour rien, répliquai-je en la suivant jusqu'à la table où j'avais déposé les courses. Tu as dix minutes de trajet pour te rendre à ton travail, la pâte à préparer, ton gâteau à faire cuire et à décorer ! Tu vas réussir à faire tout ça en vingt minutes ?

Elle fouilla dans le sac pour prendre les ingrédients et ouvrit le placard pour en sortir la levure et le sucre. Elle ignora mes doutes logiques quant à arriver à l'heure à son poste. Je détournai mon attention vers la télé qui diffusait le clip de Sia, "chandelier", que j'aimais par-dessus tout. Elle se décida à me répondre pile au moment le plus inopportun. Celui où je commençai à me trémousser en faisant bouger la tête et les bras.

- J'ai un as dans ma manche, je ne vais pas le décorer.

- Ça ne te laisse quand même pas le temps de...

- C'est toi qui vas le faire cuire, m'interrompit-elle en souriant.

Ce n'était plus un as qu'elle avait dans la manche, mais une foi énorme en mes capacités. Celles de ne pas transformer sa bonne action en incendie.

Je fermai les yeux patiemment, espérant qu'elle se rende compte des failles de son plan. Comme elle ne rajoutait rien, je commençai à secouer légèrement la tête de gauche à droite, puis plus vite pour finalement laisser échapper un "NON !" sonore.

- Levy, j'ai pas mal de lacunes en tant que mère, mais je pense avoir élevé un fils capable d'ouvrir un four et sortir le gâteau quand le minuteur de l'appareil se mettra à sonner !

Je levai les sourcils. J'avais envie de la contrarier, mais je passerais pour un bon à rien. Parce que oui, je l'étais. Alors je ne comptais pas rabaisser mon ego au cas où je devrais prétendre un jour être un homme. Cela, bien entendu, si par chance je me trompais et ne mourrais pas avant. En réalité, je crois que j'étais un peu bizarre. Ma tête ne fonctionnait pas comme celle de la majorité des gens. J'avais du mal à croire que je deviendrais adulte un jour. J'avais 14 ans, et j'étais convaincu que je ne grandirais jamais. Mon imagination était débordante, et puisque je n'arrivais pas me projeter dans une vie d'adulte, cela voulait dire qu'elle n'existerait jamais, tout simplement.

J'aurais tout donné pour être différent, mais c'était comme ça. Je n'avais plus de père, ma mère travaillait tout le temps pour joindre les deux bouts et moi je restais seul chez moi. Le côté positif des vacances était que je n'avais plus à supporter le harcèlement au collège.

- Je ne comprends toujours pas le fonctionnement de ce truc, dis-je en désignant les boutons du four. Ce sont les voisins qui devraient nous apporter un gâteau, non ? Ce sont eux les intrus qui arrivent en terrain inconnu. Ils devraient nous prouver qu'ils viennent en paix et que nos femmes et nos enfants sont à l'abri, lançai-je en regardant l'appareil qu'elle avait mis à préchauffer.

Ma mère éclata de rire. C'est comme ça qu'elle cracha dans le bol de pâte un festival de postillons pour les voisins !

Les intrus en question étaient les nouveaux propriétaires de la maison d'à côté. Je montai dans ma chambre, sachant que j'allais devoir surveiller le fichu gâteau et redescendis avec un livre, mon iPod et mes écouteurs.

Elle versa la pâte dans le moule et mit le plat dans le four.

- Je m'en vais chéri, on se revoit ce soir, lança-t-elle en dénouant son tablier. Souviens-toi de...

- Tout est sous contrôle, m'exclamai-je en levant les bras.

Vingt minutes plus tard, je végétais sur le canapé en écoutant de la musique quand j'entendis le bruit d'une voiture. J'enlevai les oreillettes pour écouter le ronronnement d'un moteur qui se rapprochait. J'avançai vers la fenêtre et aperçus le véhicule qui se garait devant la maison voisine. Un couple en descendit suivi d'un garçon plus ou moins de mon âge. Il accrocha son sac à dos en bandoulière, prit une boîte sur la banquette arrière et referma la portière tellement fort, que les vitres de chez moi en tremblèrent. Il n'avait pas l'air de bonne humeur. Ses dents brillèrent au soleil quand il fit une grimace de mécontentement. La femme semblait en colère en se tournant vers lui, mais je n'entendais pas ce qu'elle lui disait.

Un lacet de sa chaussure était détaché. Il la regarda en soufflant, s'accroupit en posant la boîte au sol, et renoua ses baskets.

Le "clic" d'une sonnerie me vrilla les tympans en résonnant contre les murs de la cuisine.

Il leva brusquement la tête, et nos regards se croisèrent. Je restai figé comme un idiot, gêné d'avoir été surpris en plein espionnage. Il pencha la tête alors que j'agitais mes mains en tentant de remettre en place les rideaux sans y parvenir. À travers la toile transparente, je le vis qui se relevait et se dirigeait droit vers chez moi. La poisse ! Je reculai à petits pas jusqu'au four pour stopper la sonnerie stridente et m'accroupis contre l'évier pour me cacher, mort de honte. Je me couchai à plat ventre et commençai à ramper sur le sol avec les coudes jusqu'à atteindre les escaliers et monter en courant dans ma chambre.

- Merde ! gueulai-je à voix haute arrivé en haut des marches. Le gâteau !

Je regardai discrètement par la petite fenêtre de l'étage en direction du jardin d'à côté et constatai que le mec avait disparu. Je fis demi-tour, redescendis les marches, éteignis le four et sortis le gâteau que je posai sur la plaque.

Bravo, Levy ! Épier le nouveau voisin dès le premier jour ça commence bien...

Jusqu'à ce qu'il cesse de pleuvoir (DISPO SUR AMAZON) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant