Les débuts ont un certain charme que l'on pourrait tout sacrifier pour revivre. Je ferais tout, et c'est sûrement une exagération, parce qu'il n'y a, despotiquement, rien à faire, pour pouvoir recréer cette nuit là, dans ses moindres détails, même les plus effrayants, même les calembredaines les plus aptes à raviver cette flamme qui s'occupera de convier nos démons.
Je suis moi-même étonnée de mon désir ardent de revivre les angoisses du tout début de mon amnésie, cette quête identitaire que je cache aujourd'hui en achetant des viennoiseries, l'énorme sourire que j'affiche, prétendant savoir ce que j'aime, ce que je veux goûter, prétendant savoir le goût qu'un croissant a, alors que j'en ai, absolument, aucune idée.
Je ressasse encore et encore, pendant des nuits et des nuits cette soirée, me disant que j'aurais pu y changer quelque chose, que j'aurais pu améliorer le lien brisé que nous avions, sauf que je sais que je ne peux rien y faire, les souvenirs ne sont que des souvenirs. Le passé n'est là que pour nous rappeler froidement tout ce que l'on a vécu, tout ce que l'on a perdu, et tout ce que l'on n'aura jamais.
-Comment est-ce que tu te sens ?
Dr. Koubai, décidant de jouer son rôle de psychologue essaya de débuter la conversation avec une question que tout le monde s'obstine à me poser, comme si je détenais la réponse à leur dilemme, alors que, sincèrement, je ne détiens la réponse à rien, et c'est une vérité universelle que toutes ses personnes qui s'entêtent à croire que je leur suis importante veulent ignorer.
-Je ne sais pas, dis-je simplement entre deux bouchées de mon croissant, sirotant une tasse de thé chaud avant le début des cours, vous savez, j'étais plutôt encline à découvrir de nouvelles choses, de goûter à de nouveaux plats, à savoir quel goût a un croissant. Plusieurs personnes disent qu'elles voudraient avoir la chance, de réécouter leur chanson préférée, relire ce livre qui aura réussi à changer leur existence ou regarder ce film qui a mis leurs croyances sens dessus dessous pour la première fois, revivre les premières larmes d'extase suite à cet étonnement, les battements de cœur saccadés en résultat à ce suspens amplifié, et je suis là, et je pourrais tout revivre, sauf que je ne me sens pas assez forte, sauf que je crains être de plus en plus imbibée d'un monde qui n'est pas là.
Un silence s'en suivait, n'allait-elle pas me sermonner ? Me donner des astuces pour survivre à mon agonie ?
Quand elle parla finalement, j'avais déjà fini ma tasse de thé, et dévoré le croissant, c'était assez bon, j'aimais plutôt bien. J'en voulais plus, cependant.
-Skye, fais ce que tu veux faire, explose, ne te contrôle pas, tu es sur le bon chemin, perds-toi et retrouve-toi, pleure, ris, vis au rythme de tes sentiments. C'est tout ce que je peux te dire. Te dire d'essayer de tout comprendre ne va pas t'aider, ce processus est bien plus complexe qu'essayer de tout résoudre par des mots ne va pas le faire. Tout dépend réellement de ce que tu veux. Et réfléchis sincèrement à la réponse de cette question, veux tu retrouver la mémoire ?
Son carré plongeant dansant au rythme du vent, ses yeux noir d'acier plongés dans les miens, un nez rougi dessiné par des traits fins, plus dessiné que le rythme insolite de ma vie, attendant une réponse, et pour un instant tout s'éclaircit, tout pris des tons d'une douceur incroyable. Assise sur un banc au beau milieu d'une cité électrique, les mots pour lesquels ma langue s'enroula, fusèrent dans un silence de mort, un silence presque entrecoupé de sanglots sur un défunt aux teintes angéliques.
Ma réponse me libéra, et soudain je pus respirer.
***
Ma matinée fut assez légère, à part ce moment où je traversais les portes d'entrée et où je savais que tout le monde savait exactement ce qui m'était arrivée. Oui, ne puis-je m'empêcher de répondre à leurs regards interrogateurs, je suis amnésique, pour plus d'informations, laissez vos messages dans mon casier.
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Dix-sept heures, quinze minutes.
RomanceVoici l'heure à laquelle l'ancienne moi s'est éteinte et peut-être ne se réveillera jamais. Voici l'heure, maudite soit-elle, qu'il haït de tout son être. L'heure qui lui a volé les derniers éclats de ses remords, les derniers éclats de mon innocen...