Chapitre 1 : Prélude

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- On est coincé ici, j'espère que t'es contente.

La jeune femme baissa les yeux pour ne pas affronter son regard dur. Ses paroles avaient été accusatrices, à tel point qu'elle sut qu'il lui en voulait. Et à cet instant, elle ne voulait surtout pas le défier en lui répondant avec insolence. Elle avait déjà assez honte comme cela. Ses vêtements étaient encore trempés, n'ayant pas eu le temps de sécher, et des gouttes d'eau provenant de ses cheveux inondés tombaient sur le carrelage du sol. Elle était morte de froid, mais pour rien au monde elle ne s'en plaindrait à son compagnon de voyage qui était suffisamment énervé comme cela. Elle joignit ses mains entre elles dans l'espoir de trouver un peu de chaleur, mais elle se rendit rapidement compte qu'elles étaient gelées. Affreusement. Tout comme le reste de son corps, d'ailleurs. Le jeune homme de l'autre côté de la table, debout, recommença à faire les cent pas dans la pièce. Assise sur une chaise de bois probablement ancienne, la jeune femme tentait de calmer ses tremblements.

   Au départ, elle avait refusé intérieurement d'être la cause de cette 'erreur', n'y voyant pas le mal et ne comprenant pas la paranoïa de son compagnon de route. Mais ce fut lorsque leurs hôtes avaient commencés à de brefs moments à agir étrangement qu'elle s'était remise  en questions. La question qui trottait dans son esprit et celui du jeune homme était : pourquoi avaient-ils acceptés si promptement, et visiblement joyeusement, de leur venir en aide en les hébergeant ? Et ce, sans émettre aucun doute sur leurs identités. Mais voilà, tous les deux ne pouvaient pas revenir en arrière sous peine de se montrer suspects. Sans oublier l'averse à l'extérieur et ce maudit brouillard épais qui empêchait toute visibilité. Ils étaient coincés dans un immense Manoir sinistre, perdus une nuit d'orage, avec pour logeurs quatre jeunes hommes aussi séduisants que terrifiants. Pourquoi au diable s'étaient-ils donc égarés ?

   Soudain, le tonnerre gronda à l'extérieur, en même temps qu'une voix sur sa droite qui la fit sursauter gravement.

- Tiens. Ça pourrait t'aider à te sécher.

   La jeune femme planta ses yeux sur le propriétaire, son cerveau assimilant quelques instants que personne ne lui voulait du mal dans cette pièce. Et ce, malgré le timbre doux et amical qu'on avait employé. Elle se détendit davantage lorsqu'elle vit la serviette que lui tendait l'un de leurs hôtes.

- Oh... Fit-elle, surprise par cette marque d'attention. Merci.
- A ton service, Kathy Selden*. Sourit-il accompagné d'un clin d'œil.

   La jeune femme referma lentement ses mains sur la serviette et s'en empara, forçant un sourire pour la remarque suggestive du garçon. Elle resta un instant perdue dans ses pensées alors qu'elle essayait de décrypter ce sourire qu'on lui adressait. Le sourire de ce logeur avait tout de l'innocence, mais étrangement, elle le trouva bizarre. Tordu. Comme si il cachait quelque chose d'effrayant.

   Son compagnon de voyage aux cheveux brun avait suivit toute la scène, bras croisés sur la poitrine, détaillant le nouvel arrivant de ses prunelles d'un marron foncé. On aurait presque dit qu'il allait lui sauter dessus, même si cet air froid qu'il avait souvent n'était pas de sa faute.

- Je vous ai mit des vêtements secs dans vos chambres. Reprit le jeune adulte en se tournant cette fois vers le compagnon. La taille devrait aller.

- ...Vous avez fait ça ? S'étonna-t-elle agréablement en échangeant un regard avec son ami.
- J'ai pensé que vous aimeriez vous changer.

   Son ton avait été moins fort, presque comme si il avait soudain honte d'admettre leur avoir voulu du bien. D'ailleurs, il détourna bien assez tôt les yeux. Il déposa la seconde serviette sur la grande table rectangulaire en bois sans leur adresser aucun regard.
- Séchez-vous. Vous allez attraper froid.
- Nous ne sommes pas dans la même chambre ? Retint le brun alors que le logeur faisait demi-tour.

   Ce dernier se retourna et rencontra l'expression interloquée du jeune homme.
- Tu sors avec elle ? Demanda-t-il, amusé et faussement surpris. Petit veinard. Faudra sérieusement qu'on en rediscute; j'ai le droit à une chance.

   Alors que la jeune femme rougissait furieusement, le brun fut rempli d'un sentiment de dégoût qui le força à protester.
- Quoi ? Non !
- Non, tu ne sors pas avec elle, ou 'non' tu veux te la garder... Parce que si c'est le cas, mon gars, tu fais pas le poids...
- Non, on ne sort pas ensemble. Affirma le brun.
- Alors vous dormirez séparément. Approuva l'hôte.

   Une étrange lueur brillait dans le fond de ses yeux bleu, que la jeune femme n'arriva pas à déchiffrer. Peut-être était-ce parce qu'elle la redoutait ? Pourtant, le jeune homme était, elle devait l'avouer, plutôt séduisant. Il avait tout pour plaire. Ses cheveux étaient châtains et partiellement ébouriffés, des yeux bleu capable de vous figer sur place, des traits fins, et un sourire malicieux qui avait le don d'être absolument adorable, accompagné par ses manières taquines.
- Aller, les jeunes ! S'exclama le châtain. Dépêchez-vous de vous sécher. Même si voir tes habits collés à ta peau ne me dérange pas...

   Se sentant directement visée, la jeune femme risqua un regard vers le jeune homme debout face à elle. Il lui adressa un sourire charmeur ainsi qu'un clin d'œil, qui eurent le don de lui faire détourner le regard. C'était elle, ou il la draguait ouvertement et explicitement ? A côté, elle entendit son compagnon soupirer d'agacement, visiblement à l'écart.
- Je ne... Tenta-t-elle en plaquant la serviette contre sa poitrine.
- On en reparlera. Coupa calmement le châtain, le coin de ses lèvres s'étirant en un sourire; il se redressa, partant à reculons. James va vous montrer où sont vos chambres et tout ce dont vous aurez besoin. La nuit va être longue !

   Il haussa les sourcils, avant de se retourner et de disparaître dans le couloir. OK. Là, c'était clairement flippant.
- Parfait, Jenelle. Ironisa le brun, rancunier. Absolument. On ne s'en débarrassera jamais, maintenant. Tu peux être fière de toi.

   Il saisit rageusement la serviette déposée sur la table, puis quitta la pièce après lui avoir adresser un regard des plus haineux. Comme si c'était de sa faute si elle avait attiré les yeux d'un des habitants du Manoir, comme si c'était elle qui avait déclenché cet orage et les avait égaré ! A présent seule, Jenelle jeta sans réelle violence la serviette sur la table, s'adossant complètement sur le dossier de sa chaise.

Elle ne se doutait même pas que la galère allait s'empirer.

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*Référence au film « Singin' in the rain » de 1952

The ManorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant