Chapitre 9

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Meng.

Il y a un long silence et Dao s'excuse avant de partir dans la salle de bain. Même s'il essaye de ne rien montrer, il doit être un peu secoué. Un acteur comme lui qui cohabite avec des gens du monde de la nuit ? Cela ne ferait pas joli dans le journal local, quoi qu'il dise. Il doit avoir besoin de temps pour réfléchir, tout n'est pas gagné, mais nous en avons parlé avec Issam sur le balcon plus tôt, si on s'aperçoit que cela dérange Dao, nous partirons. Issam n'est pas trop d'accord avec ça, c'est pourquoi il s'est énervé, car si nous quittons le dortoir, le seul endroit où nous réfugier sera l'hôtel. Je n'aime pas l'idée non plus mais bon... Je déteste cet endroit si fort. Bien que je ne supporte pas de savoir Issam tout seul là-bas, je ne l'accompagne pas toujours. J'y vais tout de même pour prendre des nouvelles de tout le monde, l'aider à gérer ou tout simplement faire mon sport, j'ai mes habitudes mais ce n'est jamais vraiment une partie de plaisir. Nous y avons trop de mauvais souvenirs pour pouvoir apprécier ce lieu.

J'y passe mes samedis soir, la plus grosse soirée, car ils manquent de monde et j'y vais régulièrement la semaine pour emprunter les machines de sport. Je ne suis pas moi-même là-bas, je porte un masque invisible et je le garde bien collé à mon visage pour être sûr que rien ne dépasse de ma vraie personnalité.

La famille d'Issam possède ce business depuis plusieurs générations. Quand nous étions petits, ils nous tenaient éloignés de tout ça, nous ne nous voyions que chez moi, mes parents étaient au courant et ils traitaient Issam comme leur propre fils, ils l'ont élevé avec moi pour éviter qu'il ne soit influencé de la mauvaise manière. A partir du collège, nous avons réellement compris en quoi ce business consistait, pourquoi les filles étaient si peu habillées, les garçons toujours torses-nus, pourquoi les danses qu'ils exécutaient était si explicites et pourquoi les employés dormaient avec les clients dans les chambres à l'étage.

Nous étions jeunes, nous n'avions pas compris que c'était mal, nous trouvions ça drôle. Nous venions souvent danser dans le bar avec les clients, nous amuser, goûter l'alcool dans les verres de ceux qui nous laissaient faire, tout le monde était si gentil avec nous, comment deviner qu'ils espéraient quelque chose en retour ?

Les parents de Issam nous chassaient dehors chaque fois qu'ils nous surprenaient, ils voulaient nous protéger mais pour nous, ils nous empêchaient de s'amuser. Mes parents pensaient que l'on continuait de passer nos soirées au bord de la rivière, comme lorsque l'on était en primaire, ils ne se doutaient pas que nous avions changé nos habitudes. Les parents de Issam ne leur ont rien dit, c'était la honte, ils avaient gracieusement élevé et accueilli leur fils mais en échange, c'était leurs deux enfants qui menaçaient de sombrer.

Pour nous, c'était la belle vie. On commençait notre adolescence de la meilleure des façons, avec plein de filles sexy qui nous souriaient gentiment et dansaient avec nous, de l'alcool et des adultes qui semblaient nous considérer comme des grands. C'est dingue comme il est facile de se faire avoir.

Dao revient dans la chambre et nous gagnons chacun notre lit. Sûrement trop perdu pour y penser, il ne nous a pas interrogé plus sur notre proximité et pourquoi nous avions dormi ensemble. Peut-être s'est-il imaginé une raison ? Peut-être la bonne. Ou alors, la question viendra dans les prochains jours, quand il a aura digéré cette première nouvelle.

Issam m'envoie un message.

"Désolé de mettre énerver tout à l'heure, tu sais bien que j'ai du mal avec tout ça et je refuse qu'on se retrouve coincé dans ce foutu hôtel."

"Je sais, c'est ok. Dao a accepté alors tout va bien."

"Oui."

"Tu veux dormir avec moi ? Tu passes toujours des nuits horribles après avoir été là-bas."

"Et Dao ? Tu avais l'air de te rapprocher de lui tout à l'heure, je ne veux pas te gâcher l'idée d'un meilleur futur."

"Je ne vais pas te laisser tomber comme ça."

"Hm...ça va pour l'instant. Je viendrai si je fais un cauchemar."

"Comme tu veux"

J'éteins l'appareil et me couche, éreinté mentalement. Pourquoi est-ce que juste évoquer ce sujet m'épuise ? Je suppose que plus quelque chose vous touche et vous tracasse, plus en parler devient difficile. J'aimerai savoir ce qu'en pense réellement Dao, il ne serait pas étonnant qu'il refuse mes avances désormais. Cohabiter avec nous, ça passe mais plus, ce serait sûrement trop risqué pour lui, je ne voudrais pas remettre en cause son rêve.

Lorsque le réveil sonne, je m'étonne de me retrouver seul dans mon lit. J'aurai parié que Issam allait me rejoindre. Je m'étire et me lève, Dao fait de même mais mon frère semble bien décider à ne pas ouvrir les yeux, il a le sommeil dur une fois endormi. Je m'approche donc de lui et soupire en apercevant des traces de larmes sur ses joues, il a donc bien fait un cauchemar mais n'a pas dû oser me rejoindre à cause de Dao. Je sais qu'il ne souhaite qu'une chose, mon bonheur, et qu'il veut éviter à tout prix de me faire louper mon « coup » avec notre colocataire.

Dao s'approche en me voyant accroupi et immobile devant le lit d'Issam.

« Il a pleuré ?

- On dirait bien, ne t'inquiète pas, ce n'est pas grand-chose.

- Personne ne pleure pour pas grand-chose. Pourquoi ne t'a-t-il pas rejoint cette nuit ?

- Pour ne pas me réveiller, je devine, je réponds évasivement.

Il n'insiste pas et s'éloigne pour me laisser le réveiller tranquillement. Ou pas. Je lui souffle dans l'oreille de toutes mes forces et il pousse un grognement sourd.

- Meng, tu pourrais apprendre à me réveiller délicatement ? geint-il en se redressant.

J'entends Dao rire derrière.

- J'ai trouvé ça plutôt délicat moi, je raille.

Il m'assène un coup de poing sur le torse qui me fait lâcher un petit cri, plus de surprise que de douleur.

- Tu as eu mal pour si peu ? Il est temps de reprendre la musculation !

- J'ai juste été surpris ! Mes abdos sont toujours bien supérieurs aux tiens, je te rappelle.

- Hm, pour le coup je ne peux pas nier, le sport ce n'est pas mon truc. »

Il se décide enfin à émerger et nous paniquons en nous rendant compte de l'heure déjà avancée pour se préciter sur nos affaires. Dao propose de nous déposer avant de partir pour son agence, nous n'avons pas cours ce matin mais un rendez-vous concernant Issam. Nous finissons par accepter, vraiment en retard et nous montons dans sa voiture quelques minutes plus tard.

Un amour entre deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant