Le théorème des papillotes

Mardi 1 Décembre

Mardi 1 Décembre :

Agathe rit à une blague sans réellement savoir ce dont il s'agissait. A vrai dire, perdue dans ses pensées, elle n'avait pas écouté. Elle était assise à une table avec ses amies pour la pause lunch. Elle lança un regard triste à son sandwich. Il ne lui faisait pas vraiment envie. Il faut dire qu'elle se concoctait tous les jours le même sandwich à emporter. Rien de bien réjouissant.

Depuis qu'elle avait quitté la France, son pays natal, pour s'installer en Irlande avec sa famille, la nourriture française lui manquait. Et actuellement, le self lui manquait. Les français ne se rendaient pas compte de la chance qu'ils avaient : arriver chaque jour sans avoir besoin de préparer quoi que ce soit et avoir droit à tout un menu qui variait quotidiennement.

Le paradis. 

Sa cousine, Mathilde, s'amusait souvent à la torturer en lui envoyant des photos de baguettes, viennoiseries, fromages...

- Agathe ?

Elle releva la tête, se réintéressant pleinement à la conversation. Voyant qu'elle l'écoutait, son amie reprit :

- Tu me corrigeras mon devoir de français ?

Agathe se contenta d'acquiescer. Déjà, la conversation se détournait sur un autre sujet. Elle faisait partie d'un quatuor de filles composé de Callie, reine de la ruche, Brooke et Tessa. Agathe était infiniment reconnaissante d'avoir été intégré parmi elles. En arrivant en Irlande, ne maîtrisant que vaguement la langue de Shakespeare, elle avait d'abord été la risée de tous. Et puis elle avait rencontré Callie à la gym qui l'avait  prise sous son aile. Elle trouvait ça "trop classe d'être française". Très vite, celle-ci l'avait intégré à son petit groupe privilégié, permettant à Agathe de rencontrer Brooke et Tessa. 

La jeune française avait immédiatement songé que la situation était idéale : fraîchement débarquée, déjà incluse dans un groupe populaire et bien vu du lycée avec des filles qui ne tarderaient sans doute pas à devenir ses confidentes, ses futurs fou-rires, ses meilleurs souvenirs. 

Très vite, elle s'était rendue compte que la situation n'était en réalité pas si féérique. Si Callie était de super compagnie seule, dès qu'elle se retrouvait au milieu d'un groupe elle était méconnaissable. Quant aux deux autres, elles avaient beau passer tout leur temps ensemble, Agathe n'avait pas l'impression de les connaître. Encore moins d'être leur amie.

Il lui arrivait même de déprimer en regardant des séries devant l'amitié que partageait les protagonistes. Elle pourrait bien disparaître du jour au lendemain sans que personne ne cherche à passer dans l'Upside-Down pour la retrouver. Sans que personne ne la cherche tout court d'ailleurs.

Elle secoua la tête pour se sortir de ses pensées noires. A côté d'elle, Callie critiquait la nouvelle veste verte fluo de Carmen, l'une des filles de leur classe, sous les mouvements de tête approbateurs des deux autres. 

- Tu viens Samedi ?, demanda finalement Agathe à Callie dans un espoir désespéré d'amener la conversation à un point intéressant.

Elles avaient toutes les deux gymnastique tous les Samedis après-midi.

- Oui,  j'espère que la nuit ne tombera pas aussi vite que la dernière fois.

- J'ai bien aimé m'entraîner alors qu'il faisait nuit dehors, avoua Agathe avec un sourire.

- C'était juste embêtant, de toutes manières, l'hiver est vraiment la pire des saisons, la coupa sèchement Callie avant de se lever, allons-y.

Agathe songea qu'il était sans doute inutile de lui faire remarquer qu'elle semblait avoir la même haine envers toutes les saisons.