Chapitre 7

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Vira souffrait incommensurablement. Tout tournoyait dans sa tête, lui revenait sans cesse. Les plaintes, les effrois, les questions qui la torturaient. Comment cela avait-il pu se terminer de cette manière, alors que Guylt lui avait dit qu'il s'en sortirait ? Sans doute n'aurait-elle jamais de réponse, et cela était le coup de grâce. Elle était à terre, une nouvelle fois seule dans le bureau des élèves, recroquevillée contre elle-même, désabusée, les yeux pleins de larmes. Et cette fois-ci, personne ne viendrait la consoler. Il était parti, parti.

La jeune fille reprit sa lettre, qu'elle avait toujours gardé sur elle depuis l'annonce de son décès. En en lisant les quelques mots, elle l'imaginait à ses côtés, souriait mélancoliquement à l'idée qu'à ses derniers instants, il lui avait adressé cette dernière attention, cette dernière promesse. Elle se sentait alors encore aimée, et cela lui réchauffait le cœur. Mais lorsque la lecture lapidaire se finissait, Vira ne ressentait plus que son absence, et sombrait une nouvelle fois dans un froid océan de tristesse.

Elle balaya du regard la salle, les yeux humides, et revit la silhouette de Guylt, debout, qui s'avançait vers elle. Elle le revit lui tendre les bras, lui sourire, lui déclarer son amour. Elle se revit l'embrasser, si flattée, si heureuse de se voir aimée si tendrement. Mais lorsqu'elle frôla des doigts ses propres lèvres, elles étaient froides, sèches. La trace de ses baisers avait déjà disparu, et déjà plus aucune trace de leur amour n'était inscrite sur son corps. Tout cela lui était source d'angoisse. Pourquoi tout ce qu'ils avaient construit disparaissait aussi vite ?

De longues minutes à pleurer passèrent. Vira finit par se rendre à l'évidence : rester là où leurs lèvres s'étaient rencontrées pour la première fois était trop dur. Elle partit errer dans les rues de Plijeune, sa précieuse lettre en main.

Alors qu'elle déambulait morne dans le quartier, en passant par la statue du directeur de l'école et d'Eletoillo, la porte de l'éléphant ivre, elle les revit main dans la main, à se balader et profiter de la symphonie des musiciens de rue. Mais le courrier dans sa propre main n'était qu'un feuillet, un papier dont le toucher ne signifiait rien. Ce n'était pas la main de Guylt qui s'entrelaçait avec la sienne, la faisant se sentir en sécurité.

Tout à Hekseville lui rappelait ses baisers, ses paroles, ses attentions, ses cadeaux... Il lui avait tant offert. Sa souffrance l'empêchait de se souvenir clairement de ses propres attentions, mais leur passion et leur amour étaient évidents. L'idée qu'elle ne ressentirait plus la chaleur de ses étreintes, n'entendrait plus ses mots doux à l'oreille, la détruisait peu à peu ; peut-être ne revivrait-elle jamais un tel bonheur. Guylt était partout, et nulle part à la fois. Alors Vira serra la lettre encore plus près de son cœur. Heureusement qu'elle avait ce dernier souvenir avec elle...

Néanmoins, la douleur était devenue insupportable, et la jeune fille ne désirait qu'une chose : se saouler et tout oublier l'espace d'un instant, loin du poids de sa mort. Alors elle s'attabla à un bar et ne fit pas attention au prix ou à la force de l'alcool. Elle enchaîna les verres, la mort dans l'âme, puis sortit, à moitié ivre. Elle croisa alors un vieil homme, une bouteille à la main, qui se lamentait et criait alors qu'il perdait de plus en plus l'équilibre.

— Saleté de tempête gravitationnelle, rends-moi ma famille ! Pourquoi les avoir pris ? Pourquoi eux ?!

Sa famille devait avoir été emportée par la scission de Plijeune, dont la partie manquante n'avait pas encore été retrouvée. Peut-être la gravitéenne réussirait-elle à la faire revenir, mais que dire à cet homme désespéré ? Y avait-il une raison à leur disparition ? Tandis qu'elle venait l'aider, Vira songea à son propre cas : ce n'était même pas une tempête gravitationnelle qui avait emporté Guylt ; c'était l'Univers lui-même. Ainsi, elle ne pouvait même pas s'offusquer contre lui comme ce vieil homme contre la tempête. Contre qui pouvait-elle bien se rebeller ? Était-elle seulement contrainte à encaisser ? Ils marchèrent un moment, se soutinrent, tous les deux victimes de la dureté de la vie. Puis elle le raccompagna à sa porte, et il la remercia.

— Merci, ma p'tite dame. J'espère qu'on s'en sortira, tous les deux, et que vous aussi vous retrouverez ceux que vous avez perdu.

L'intéressée resta un moment devant sa porte, abattue. Contrairement à lui, comment pourrait-elle revoir son bien-aimé ? Puis elle prit le train de Plijeune jusqu'à Vendecentre, et marcha un long moment, emmurée dans son silence. Enfin, elle était de retour dans la ruelle, loin de tous, plus personne ne faisant attention à elle.

Plus aucune larme ne lui venait, comme un puits dont on avait épuisé l'eau. Ses yeux étaient secs, vidés, éteints, à son image. Muette, encore sous l'emprise de l'alcool, Vira resta assise au bord à l'ombre, dans le silence de la nuit, pareil au silence d'un mort. Était-ce dans ce silence que reposait Guylt, pesant et éternel ?

Et cette douleur, la seule présence qui l'étreignait, allait-elle aussi être éternelle ?

Lettre perdue, promesse non tenue ~ Gravity RushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant