Chapitre 11

8 1 0
                                    


Dès lors, des mois étaient passés, et Vira se sentait d'une belle plénitude, alors qu'un souffle irrésistible chatouillait le creux de son cou. Quel plaisir était-ce de recevoir des affections, de parler, de toucher, se sentir aimée... Le jeune homme qui lui offrait tant l'avait rencontré à l'investiture du maire D'Nelica ; après l'avoir aperçu dans l'audience, il avait scandé la foule, un fin sourire aux lèvres, et l'avait abordé. La jeune fille avait aperçu son badge, qui montrait qu'il travaillait au bureau du maire, preuve de ses compétences et de sa bonne position. Elle avait été ainsi heureuse de se voir demandée par un si bon parti, qui lui avait dès-lors témoigné son affection, et fait oublier toutes ses relations passées. Il lui offrait moult cadeaux, lui susurrait des mots doux à l'oreille... tout était parfait. Vira en était sûre : il l'aimait bien pour de vrai.

Les deux avaient prévu une sortie à Endestria, le compagnon devant aller vérifier des choses près de la Tour anti-tempête, qui portait auparavant un générateur de gravité, confisqué par l'armée. Le père de l'amoureuse en avait été choqué, outré qu'on privait les ouvriers de ce travail, qu'on construisait d'autres armes et qu'on faisait taire ceux qui s'y opposaient. Le soir, il évoquait souvent ses inquiétudes quant à la tournure que prenait la direction de la ville. Mais sa fille n'avait que faire de la militarisation d'Hekseville, de la fusion entre armée et police, des exercices militaires qu'on obligeait les étudiants à réaliser, des parades qui défilaient en contrebas de son logement... Après tout, son bien-aimé gardait une bonne place au sein du gouvernement ; nul doute qu'il pourrait lui empêcher toute autre restriction : cela faisait partie des nombreuses choses qu'il pouvait lui offrir.

Ainsi, pour se préparer, Vira ouvrit son placard, cherchant un collier qui pourrait sublimer son cou, là où elle aimait tant qu'il déposait de doux baisers. Tandis qu'elle parcourait les bijoux, ses doigts frôlèrent un anneau qu'elle n'avait pas touché depuis un moment. Quand elle l'agrippa, un étrange inconfort la prit : depuis combien de temps était-ce là ? Avec ses pierres étincelantes, c'était comme si cet objet ne lui appartenait pas : l'avait-elle volé ? Cette impression d'avoir dérobé quelque chose qui n'aurait jamais dû finir entre ses mains ne quittait pas la jeune fille ; cela lui fit contempler un instant le mur qui la séparait de l'appartement auquel elle toquait enfant. Tout lui parût plus clair : elle se devait de rendre ce vestige d'une histoire passée. La bague en poche, comme pressée par le temps, Vira toqua une ultime fois à la porte du logement qui fût celui de Guylt. Ce fût une femme au teint creusé qui l'accueillit, surprise de la voir ici.

— Vira...

— C'est moi, Madame. Je sais que ma visite est surprenante.

— Pas de soucis, mais que se passe-t-il ? Quelque chose t'amène ?

— Eh bien, oui. Je pense qu'il est mieux que je vous redonne ceci, lui dit-elle en lui tendant la bague.

La mère la contempla quelques secondes, étonnée et presque inquiète de la lui voir tendue comme cela. Elle reposa ensuite ses yeux sur la jeune fille, qui la regardait inconfortablement. Celle-ci prenait le temps de réfléchir à ses mots, voulant à tout prix se débarrasser de cette trace encombrante.

— Vira, Guylt te l'avait donné de bon cœur avec confiance ; je ne pense pas pouvoir te la reprendre.

— Je ne pense pas non plus que ça m'appartienne réellement. Du moins, plus maintenant. Cela fait si longtemps...

— Ce n'est pas un problème, si ? C'est un souvenir d'une belle histoire ; Guylt serait heureux, d'où il est, de te voir avec.

— Je voudrais... que le passé reste dans le passé. Ce souvenir sera mieux ici ; honnêtement, je ne m'en sens pas digne.

Profitant d'un moment de silence, Vira lui transmit pressement le bijou sans que la femme ne puisse réagir, et s'éloigna de deux pas, comme poussée par son malaise, mais se figea lorsqu'elle croisa le regard presque indéfinissable de son interlocutrice. Alors que les deux se fixaient sans rien dire, la jeune fille sentit avec surprise une tape sur son épaule. Auprès d'elle se tenait celui avec qui elle sortait ce jour-là.

— Bonjour, Madame. Je t'attendais, Vira ; ne devrions-nous pas y aller ?

— Oh, je n'ai pas vu l'heure, balbutia l'intéressée, décontenancée mais heureuse de cette arrivée soudaine, coupant court à la confrontation. Je vais y aller, Madame. Bonne journée.

— Bonne journée à toi aussi, Vira.

La mère elle-même ne trouvait rien à dire, alors elle laissa la jeune fille s'éloigner aux bras de son compagnon sans la quitter des yeux. Lorsque les deux furent assez éloignés, le jeune homme, quelque peu déconcerté, l'interrogea.

— Qu'y avait-il, avec la femme d'il y a deux minutes ?

— Rien de particulier. Allons-y.

Elle finit par soupirer de contentement, après s'être libérée d'un autre poids. Enfin, elle était sûre que plus rien ne viendrait lui rappeler son ancien bien-aimé. Vira entrelaça alors sa main dans celle de son partenaire, l'entraînant vers le quartier industriel.


La mère avait regardé la jeune fille s'éloigner aux bras d'un nouveau jeune homme, confuse de cette rencontre. Elle ne lui en voulait pas ; après un tel événement, voir Vira se reconstruire était rassurant. Mais pourquoi avait-il fallu rejeter le souvenir de Guylt ? Elle contempla l'anneau dans sa main ; son fils avait été si heureux de le mettre au doigt de l'amour de sa vie, de lui promettre le mariage, l'amour : le retour de la bague témoignait de l'échec de la promesse, et la femme ne se voyait pas la remettre au placard, comme si de rien n'était.

Elle la garda dans sa main, et, comme portée par les événements, se mit en chemin, parcourût le centre-ville et la vieille ville, pour enfin se retrouver là où tout avait commencé : le jardin de l'église Karuwaki. C'était là que son fils avait fait sa déclaration passionnée. Ce n'était malheureusement pas si étonnant que cette promesse n'ait été qu'éphémère, mais cela ne lui en retirait pas sa beauté ; la mère était émue et impressionnée de toute l'affection sincère que Guylt avait montré à Vira. Elle ne pouvait malheureusement pas jeter la bague au ciel pour que son fils en redescende ; alors la femme voulut que de là où il était, il pût voir le souvenir de son histoire.

Des colombes blanches se posèrent non loin, dans l'herbe près de l'église. Quel meilleur endroit qu'un lieu sacré pour que Guylt la vît ? Sa génitrice s'y abaissa, levant la terre et y déposant avec prudence le joyau, avant de refermer le trou et se relever. Le vestige de ce bel amour était désormais scellé dans la terre d'Hekseville. Il n'y avait plus qu'à espérer que son fils ait pu en profiter, et qu'il reposait en paix, loin de la déception ou de l'effroi de se voir oublié.

La mère jeta les yeux vers le ciel rosé d'Auldnoir, et repensa à ce qu'il lui avait dit. Elle se devait d'être heureuse, pour son fils. Alors la femme s'éloigna lentement, tandis que les volants blancs s'envolaient dans le ciel. Dans la ville au milieu des cieux, la vie continuait. 

Lettre perdue, promesse non tenue ~ Gravity RushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant