Chapitre 8

10 1 0
                                    

Tandis qu'elle observait sa mine défaite face à son miroir, Vira était prise d'une grande lassitude ; cela faisait plus d'une semaine que les larmes ruisselaient sans arrêt sur son visage.

Pourtant, la situation s'était améliorée à Hekseville : la partie disparue de Plijeune avait été retrouvée grâce à la gravitéenne, qui avait ensuite vaincu le roi des voleurs, Alias. La jeune fille n'arrivait toujours pas à comprendre pourquoi, mais l'annonce du vol de la gemme d'Auldnoir avait étrangement dérangé Guylt ; sans doute aurait-il été heureux de savoir que le criminel avait été puni.

Finalement, c'était ça qui la torturait : seuls les souvenirs de son bien-aimé refaisaient surface, qui, associés à son départ, étaient source de tristesse et de manque : le manque de ses bras, de ses attentions, de ses mots doux... Elle avait toujours avec elle sa dernière lettre, dont elle connaissait entièrement le contenu. Elle la relisait pourtant sans cesse, mais ce n'était plus source de réconfort : elle ne faisait que raviver son manque. Alors, pourquoi rester attachée à ces mots qui ne lui procuraient que de la douleur et le lui rappelait sans cesse ? Son souvenir lui procurait plus de souffrance que de bien, et cette lettre était comme un cadeau empoisonné. Peut-être n'aurait-elle jamais dû avoir ce courrier entre les mains. Peut-être était-il responsable de sa tristesse, une tristesse invivable dont elle voulait se débarrasser au plus vite.

Dans l'espoir d'aérer son esprit, Vira descendit de sa chambre pour rejoindre son salon et allumer son téléviseur. Tandis qu'elle patientait, elle fixa le mur qu'elle partageait avec l'appartement voisin. Enfant, elle aimait y toquer, et Guylt lui répondait. Encore un autre souvenir... Exténuée, elle se reconcentra sur le téléviseur, qui annonçait les informations du jour.

— À la suite du retour de la partie disparue d'Endestria, une invasion névie y a eu lieu : ceux-ci ont quelque peu endommagé les infrastructures. Malgré la présence de la Reine de la Gravité, celle-ci n'a pas réussi à contenir la menace, finalement vaincue par l'armée dirigée par le commandant Yuri des forces spéciales de défense.

On diffusa la conférence de presse du maire Bolsey, abattu et qui semblait depassé par les événements. L'opinion publique s'était retournée contre lui : on l'accusait d'être un pantin, on demandait sa démission, on proposait l'élection d'un nouveau maire comme le conseiller D'Nelica... Puis suivit un débat autour de la gravitéenne, Kat.

— Serait-ce la fin pour la Reine de la Gravité ?

— Il n'y a qu'à voir les événements du jour, on ne peut pas lui faire confiance ! assura un homme.

— Les gravitéennes sont dangereuses, il n'y a qu'à voir la fille au corbeau, renchérit un autre.

Toutes ces questions fatiguaient Vira qui s'endormit là, dépossédée de toute énergie, puis qui rouvrit doucement les yeux quelques heures plus tard lorsque son géniteur passa la porte, revenu du quartier industriel, et heureux des dernières nouvelles. Il s'enthousiasma.

— Avec la restitution de la partie d'Endestria, la tour anti-tempête a été réparée et est de nouveau fonctionnelle. La production et le travail reprennent, et nous n'aurons plus à nous soucier ni des Névis ni de mon salaire !

— Oh, j'imagine que c'est bien, murmura-t-elle.

— Ça l'est, Vira. Malgré tout, je sais que la situation est compliquée pour toi. Repose-toi donc ici, je vais aller dormir aussi. Demain est un autre jour.

Il posa quelques secondes une main sur son épaule avant de la laisser là. La jeune fille aurait aimé qu'il l'étreingne, essaye de la consoler, lui dise qu'il l'aime... Mais son père rentrait souvent tard le soir, fatigué par son travail. Il ne prenait jamais le temps de la rassurer, exténué par un travail dur et aliénant. Sa fille se sentait ainsi délaissée, et l'amour charnel la réconfortait ; mais après le départ de Guylt, seule la solitude et la douleur lui tenaient compagnie. Elle soupira et se recroquevilla, se résignant à se reposer ; les bras de Morphée étaient les seuls qui lui étaient ouverts. Mais dans le noir, ses yeux cherchaient et voyaient Guylt partout. Il n'était pourtant plus là : ni sur ce canapé, ni derrière le mur, ni à Hekseville. La jeune fille aurait tout donné pour se débarrasser de son poids.

Après cette énième nuit à se lamenter et revoir l'ombre de Guylt, et où l'on annonça le décès du maire Bolsey, ses pas l'avaient alors amené dans la ruelle où son ancien amant lui soufflait son amour, et là où il avait suffoqué. Elle aurait tant aimé qu'il soit ici, à l'entourer de ses bras, ses mains parcourant sa chevelure... Mais ses cheveux étaient parfaitement coiffés, ses lèvres froides. N'avait-il pas pensé à elle tandis qu'il suffoquait ? Pourquoi cela ne l'avait-il pas fait survivre ? Pourquoi l'avoir abandonné ?! C'était donc cela, le résultat de son amour qu'il adorait lui rabâcher ? Le vertige la prît, la frustration et la douleur vaincurent sa raison ; toute pensée rationnelle l'avait quittée : elle ne faisait plus que souffrir.

Vira se sentait oppressée, comme pressée par le temps. Elle s'approcha pas-à-pas du bord, puis soupira un grand coup. Elle s'était enfin rendue à l'évidence. Guylt n'avait plus rien à lui offrir, et les dernières traces de leur amour disparaissaient une à une. Que pouvait donc lui offrir le poids d'un mort, en dehors de cette douleur et cette frustration ?

Elle contempla un instant le courrier entre ses doigts, son dernier cadeau, le cœur lourd et l'esprit embrumé. Il lui parût alors absurde. Une brise légère passa, et, comme prise dans son élan, sa propre poigne se desserra, laissant doucement s'échapper le papier. Les secondes passèrent tandis que Vira l'observait qui s'envolait peu à peu loin d'elle, virevoltait, le laissant mener cette danse vers le vide, vers le gouffre infini de l'océan noir, vers l'oubli et la libération finale.

Puis la cloche du beffroi sonna midi et sortit la jeune fille de sa transe. Tout revint alors à celle-ci : ses pensées, son acte, la lettre qui tombait. Elle s'horrifia : avait-elle vraiment abandonné cette lettre, le dernier souvenir qu'elle avait de Guylt ? À la suite de viles émotions comme la lassitude ? Tout s'était passé si vite !

Tandis que le courrier s'éloignait, une forte agitation s'empara de Vira. Elle se devait de réparer son erreur, car sans cela, elle n'aurait pas la paix. Soudainement, ce n'étaient plus l'absence et la frustration qui la tourmentaient ; c'était cette grande culpabilité d'avoir voulu laisser Guylt dans le passé. Elle se devait de retoucher à ces mots qu'il avait écrit à son attention. Elle se devait de les relire ; ils voulaient tant dire... Mais comment faire, alors qu'elle avait délibérément laissé tomber cette lettre en bas, vers cette immense tempête gravitationnelle ? Était-ce seulement en son pouvoir ?

Vira pensa à tous ces citoyens qui imploraient l'aide de la Reine de la Gravité. Celle-ci lui serait bien utile, à cet instant...

Lettre perdue, promesse non tenue ~ Gravity RushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant