Chapitre 6

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La femme ne le lâchait pas, désespérée, un flot de larmes ruisselant sur son visage. Alors qu'elle le serrait de toutes ses forces, Guylt ne pouvait prendre la parole, pris au dépourvu, et lui rendit son étreinte confusément.

Le temps passa, et entre deux sanglots, sa génitrice s'exprima.

— Guylt... Je suis tellement désolée, gémit-elle.

L'intéressé lui demanda pourquoi, frappé par sa détresse. Il l'observa se lever et faire les cent pas le long de la pièce vide.

— J'aimerais me dire que tout ça n'est qu'un mauvais rêve... Et voilà que ton médecin avait raison ! Oh mon fils, que vais-je faire ?

Celui-ci lui conseilla de respirer un bon coup et lui demanda de quoi il en retournait. Elle lui dit alors la vérité, cette vérité qui lui brisait le cœur.

— Guylt... Ces instants avec moi sont tes derniers.

Il la regarda avec surprise. Que voulait-elle dire par là ? Étaient-ce ses derniers instants à l'hôpital, comme il l'espérait ? Ou étaient-ce ses derniers instants de la journée avec elle ? Il lui demanda de clarifier la chose.

— Tu ne vas pas survivre.

Il se figea un instant, recevant la nouvelle : c'était la Mort qui l'attendait. La réalité ne pouvait être fuie plus longtemps : il était condamné.

Sa mère lui expliqua en pleurs sa maladie, comment il avait pu perdre du poids, les raisons de l'affaiblissement de son corps. Mais le condamné avait déjà compris qu'il ne s'en sortirait de toute manière pas ; pourquoi infliger à sa douce génitrice la douleur des explications ? Il la prit dans ses bras, la faisant taire, et réfléchit un moment.

Sa vie avait tout de même été belle, faite de plaisirs et de rencontres fantastiques. Les douces étreintes avec son aimée, les baisers, les mots doux et les confessions étaient toutes inscrites en lui.

Mais il était temps pour lui de quitter ce songe.

Face à la mort qui était désormais si proche, il ne pouvait s'apitoyer, ni se permettre de partir comme cela, sans un mot. Il ne pouvait pas laisser Vira seule face à son décès, alors qu'ils avaient tant de projets et qu'elle attendait son retour avec impatience. Il se devait de lui dire adieu. Ainsi, lorsque sa mère partit se recomposer quelques minutes, il intima le médecin de lui donner de quoi écrire, et pressé par le peu de temps qu'il lui restait, commença dès lors la rédaction.

Il avoua à l'amour de sa vie qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, lui jura fidélité une dernière fois, et-ce peu importe la fatalité qui allait lui tomber dessus. Il était trop faible pour écrire plus : il espérait que malgré son court énoncé, sa bien-aimée ressentirait tout l'amour qu'il lui porterait toujours, jusqu'au plus profond d'elle. Il signa la lettre, déposa un doux baiser sur le papier et l'enveloppa. Puis il l'effleura des doigts, en suivit doucement les contours, voulant imprégner le courrier de sa propre personne, cette même personne qui allait s'en aller d'ici peu. Après l'avoir contemplé de longues minutes, il le tendit dans un dernier effort à un employé, et regarda la lettre partir, espérant que ce dernier souvenir comblerait sa perte.

Pendant que son message partait retrouver la jeune fille, lui restait dans cette pièce morne. Sa mère rentra dans sa chambre et vint l'enlacer. C'étaient là les dernières étreintes d'une mère et son fils.

Il était temps pour lui de lui dire adieu.

Il remercia sincèrement sa mère de l'avoir mis au monde, éduqué et aimé pendant toutes ces années ; son existence avait été guidée par un être bienveillant et honorable. Elle avait la chance, comme les autres et Vira, d'être encore en vie. Il lui intima d'en profiter un maximum où qu'il soit : ils se devaient tous d'être heureux. Son interlocutrice le remercia elle aussi, malgré ses larmes et la neurasthénie qui la frappait à l'idée de perdre son fils, celui pour qui elle se battait chaque jour.

Mais c'était en prononçant ces sages paroles que la réalité revint subitement à Guylt. Comment allait faire Vira sans lui ? Elle allait être dévastée... C'était injuste de partir bien avant la personne qu'on aimait. Il demanda si elle s'en remettrait.

Sa confidente lui répondit que la douleur serait réelle, mais que le souvenir de leurs bons moments viendrait alléger sa peine. Malgré cette réponse, Guylt ne pouvait pas être serein : que deviendraient leurs sentiments et leur promesse ?

Sa génitrice relativisa : malgré son départ, il resterait des traces de lui dans le cœur de ses proches, ainsi que des souvenirs matériels. Guylt soupira une dernière fois : heureusement qu'il avait rédigé sa lettre ; Vira aurait une trace de lui qu'elle pourrait garder près d'elle. Le cœur du condamné s'alourdissait encore : il prit faiblement la main de sa mère dans la sienne, résolu.

Il était temps.

Leurs doigts se resserrèrent entre eux tandis que le souffle du mourant s'amenuisait et que ses yeux se fermaient lentement. Mais il les rouvrit une dernière fois, et lui posa la question qui lui brûlait les lèvres.

— Tu crois qu'elle m'aimera toujours ?

À cette question elle aperçut une ultime fois dans ses yeux éteints une éternelle lueur : l'amour débordant, presque aveugle, qu'il avait toujours porté à Vira, toute sa passion et tout son espoir. Devant un tel engouement et devant la mort, il ne lui venait qu'une seule réponse.

— Oui, Guylt.

Elle fût remerciée d'un dernier sourire. Ses pensées tournées vers la jeune fille qu'il abandonnait, le fiancé s'abandonna lui-même.

Et sa mère serra son corps de toutes ses forces, ébranlée. Les sanglots lui venaient, la perte de celui auquel elle tenait le plus la faisait chavirer. Mais c'était soudain une irrépressible culpabilité qui la prenait.

Sans doute car elle avait menti à son propre fils.

Lettre perdue, promesse non tenue ~ Gravity RushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant