Chapitre 10

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Deux mois étaient passés, et-ce dans une étrange apathie : Vira ne pleurait plus, et aucune expression ne venait perturber la neutralité de son visage. Mais l'absence de la gravitéenne à laquelle elle avait confié une mission l'inquiétait quelque peu : celle-ci n'était pas revenue à Hekseville, alors dans une ère de changement : après la disparition de Bolsey, définitivement discrédité, le peuple plébiscitait l'arrivée du conseiller D'Nelica au pouvoir. Ainsi, on préparait son investiture en tant que nouveau maire, prévue devant le beffroi de Vendecentre.

La jeune fille était de nombreuses fois revenue à la ruelle, constatant de nouveau que ses souvenirs de son bien-aimé s'effaçaient peu à peu : elle ne voyait plus clairement les images autrefois encrées dans sa mémoire ; tout était flou, lointain, comme si leur histoire n'avait été qu'un rêve. Guylt n'était plus qu'une ombre froide qui la suivait, sans qu'elle ne puisse le ressentir réellement, lui et une quelconque chaleur. Et contrairement à avant, cette constatation lui procurait le moindre mal.

Seule la lettre perdue portait encore une part du défunt : mais cela faisait maintenant des mois qu'elle attendait le retour de celle-ci, au départ dans une forte agitation, et maintenant dans une grande apathie. Cette attente ne lui avait finalement procuré que de la souffrance, une souffrance immuable, insupportable, et-ce pour un résultat dérisoire. Emportée par un flot d'émotions diverses, elle s'était refusée de voir la réalité en face, mais celle-ci finissait toujours par revenir : Guylt, lui, ne reviendrait pas. Ce papier ne changerait rien à cela. La culpabilité s'était emparée d'elle, obstruant les dernières traces de son affection passée. Lui manquait-il réellement ? Au fond d'elle, alors que ses traces et souvenirs disparaissaient avec lui, et qu'elle s'y était faite, Vira avait sa réponse.

C'était tristement cela, la dernière douleur qui subsistait : voir que tout n'était qu'éphémère, qu'elle était maintenant indifférente quant à l'événement passé ; la douleur de ne plus avoir de douleur.

Seule dans cette ruelle qui perdait de son sens, posant ses yeux violets sur le vide et l'océan noir, Vira se trouva alors assoiffée : elle voulait tant regoûter à la douceur des affections d'un être aimé, lui parler, le toucher... Ce fût là qu'elle sentit une douce tape sur son épaule, et qu'elle se retourna alors. Devant elle se tenait un jeune homme souriant, jeune et vivant, dont le regard lui réchauffa son cœur froid.

— Bonjour, qu'est-ce que tu fais ici toute seule, au bord du vide ?

Elle balbutia.

— Hmm... je me balade ?

— Tu me sembles un peu autre part, presque perdue ; ça gâche ton beau visage, tu sais ?

— Oh ? rougit l'intéressée.

— Bien sûr. Vois-tu, comme toi, je suis tout seul. Et si nous nous baladions ensemble ?

Cela faisait si longtemps qu'on n'avait pas témoigné de l'intérêt à la jeune fille ; cet heureux hasard lui réchauffa le cœur : enfin, la chance lui souriait. Guylt ne serait pas capable de lui en vouloir, non ? C'était là le parfait moyen pour se détacher de sa représentation.

— Bonne idée !

Vira se rapprocha du jeune homme, et ensemble ils s'éloignèrent de la ruelle. Prudemment, elle y jeta un dernier regard, contemplant une dernière fois ce lieu qui perdait toute couleur à ses yeux, y laissant là le passé. La jeune fille décida ainsi de se laisser emporter dans ce nouveau torrent de passion et d'idylles, heureuse de voir les derniers restes de sa douleur s'évaporer, et de se voir libérée du poids du défunt.

Dans son esprit, la silhouette de celui qui eut été son bien-aimé s'effaçait.

Lettre perdue, promesse non tenue ~ Gravity RushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant