Chapitre 2

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La première chose que j'ai faite en arrivant à l'école, ça a été de rechercher Khalil. J'ai scruté toute la cour de récréation mais je ne l'ai pas trouvé. La sonnerie a retenti alors nous avons tous dû partir dans nos classes respectives.

Khalil était absent. Assise sur ma chaise au fond de la classe, je fixais mon ancienne place vide. Étrangement, je n'avais pas envie de dessiner.

L'après-midi, même schéma. Khalil n'allait pas venir de la journée. Ça me préoccupait énormément mais je ne voulais pas que les autres le sachent alors je gardais tout pour moi. Je continuais à vivre et le soir en étant chez moi entourée de ma famille, j'oubliais totalement que son absence m'avait inquiété.

Pourtant, quand il s'est avéré être absent toute la semaine, ce n'est plus uniquement moi mais toute la classe qui se posait des questions. Après avoir vu là où il vivait, tout le monde le pensait mort ou à l'hôpital. Même Tesnim se mettait à s'inquiéter pour lui. Toute classe s'est concertée et nous sommes tous partis voir la maîtresse pour lui parler de Khalil.

A la seule entente du prénom « Khalil », elle nous a dit de ne pas nous inquiéter, qu'ils ont appelé chez lui et qu'il est juste malade. Le fait qu'ils aient pu appeler chez lui nous laissa tous bouche bée. C'était impossible pour nous qu'il puisse avoir un téléphone dans le taudis où il semblait vivre. Certains se sont contentés de cette explication et ont fini par croire qu'on s'était trompés et qu'il ne vivait pas vraiment là-bas. Mais c'était tellement difficile à croire pour moi qu'un jour je décidais de repartir chez « lui ».

J'y allais un vendredi après l'école. Je me cachais derrière un conteneur et observais le squat. J'ai pu apercevoir Khalil avec ses sœurs s'occuper de sa mère couchée au sol qui paraissait faible. Jusqu'à ce qu'il revienne à l'école, une semaine après, j'allais tous les jours voir s'il allait bien ou si sa mère était encore en vie.

Le jour-même de son retour, je pris mon courage à deux mains et allais le rejoindre dans la cour. A défaut d'avoir des billes comme nous autres enfants, il jouait avec des cailloux par terre.

- Tiens je te prête mes billes si tu veux. Comme ça on pourra jouer tous ensemble.

Je ne saurais déterminer quel était le regard qu'il m'a adressé ni ce que ça signifiait. J'ai eu l'impression de ressentir de la vie, tout simplement. Lui qui était si éteint paraissait être en vie tout à coup.

Khalil : Pourquoi ?

- Pourquoi quoi ?

Khalil : Pourquoi tu veux me prêter tes billes ?

- Pour jouer. Tu veux pas ?

Aucune réponse. La sonnerie retentit alors il se lève et se dirige vers le début de la cour pour se ranger.

- Attends ! Tu sais la dernière fois quand j'ai dit « quoi » parce que tu m'avais pris ma place, bah c'était pas méchamment !

Khalil : Je sais.

C'était la première fois que je parlais avec quelqu'un d'aussi froid. J'ai pensé à abandonner et laisser tomber mais je me suis souvenue des conseils de ma mère et me suis résolue à faire de lui mon ami. Il penserait sûrement que j'ai pitié de lui et que je veux l'aider, même si la vérité est que c'est moi qui ai besoin du sourire que j'ai vu sur ses lèvres.

Alors j'ai commencé à lui parler tous les jours. A chaque récréation, à chaque occasion j'allais vers lui. J'étais tellement collante qu'il a fini par petit à petit être moins sur la défensive et plus naturel.

Je parlais souvent de lui à ma mère qui désirait ardemment le rencontrer. Alors un jour, quand j'ai senti qu'il était moins crispé, je l'ai invité à manger chez moi. J'avais aussi invité Tesnim mais elle n'est pas venue parce qu'elle était trop gênée et s'en voulait trop de l'avoir taquiné.

Je pensais que ce serait étrange mais pas du tout. Khalil s'entendait vraiment bien avec Ayline. J'ai pensé que le fait d'avoir des sœurs jouait énormément en sa faveur. Il m'avait d'ailleurs parlé d'elles. Asma, Assia et Aïsha : 3 ans, des triplés. Je ne comprenais pas encore la gravité de la situation dans laquelle il vivait surtout avec des enfants en bas âge sinon j'aurais probablement tout raconté à ma mère.

D'ailleurs, elle l'a accueilli comme un invité royal en lui faisant manger du couscous, de la kefta et du börek. Khalil était aux anges. C'était la première fois que j'avais le droit à son sourire sincère et si rassurant. Sauf que dès que ma mère a évoqué le fait d'aller chez lui pour rencontrer sa mère et goûter aux plats Palestiniens, il s'est de nouveau renfermé sur lui-même et n'a plus souri.

Les mois défilèrent, je fêtais mes 10 ans en compagnie de Tesnim et Khalil chez moi. Khalil était fourré avec Ayline et Tesnim à mes côtés. Sa gêne envers Khalil s'était peu à peu dissipée. J'étais heureuse à leurs côtés. J'avais le dessin, ma famille, mes deux amis, je passais bientôt en 6ème, je pensais avoir le monde dans la paume de ma main. Pourtant, un changement majeur se produisit.

Un matin, Khalil n'était plus là. Il ne venait plus à l'école et ne figurait plus sur la liste d'appels. J'appris bien plus tard que la police avait débarqué dans le squat et chassé Khalil et sa famille.

Les années défilèrent, je possédais finalement un cahier de dessin et en profiter pour dessiner le sourire de Khalil dessus. Je dessinais son expression du visage lorsqu'il avait mangé chez moi pour la première fois et souriait devant son magnifique sourire.

Puis la santé de ma mère a commencé à la rattraper. Les factures impayées, les huissiers, la vie d'enfants d'immigrés vivant dans la galère s'ouvrît également à moi.

Je me suis rendue compte que mes parents ont abandonné leurs rêves pour une vie meilleure dont seul leurs enfants profiteront. Plus les jours passaient et plus je les voyais souffrir et rentrer du travail tellement épuisés qu'ils s'endormaient sur le fauteuil du salon.

Souvent, j'ai fondu en larmes à cause de ce sentiment d'impuissance. Vouloir à tout prix leur offrir une meilleure vie bien méritée est la seule option qui s'est imposée à moi.

Au collège, j'écoutais sans arrêt « Au bout des rêves » de Booba : « J'sais pas dans quel état j'vais arriver au bout de mes rêves », cette phrase m'a forgé et m'a boosté tous les jours jusqu'à aujourd'hui. A chaque moment de faiblesse, de tristesse ou de désespoir, je m'y suis accrochée fermement. Ça m'a donné encore plus envie de réussir et d'y arriver. Je n'avais plus seulement envie d'être dessinatrice, créer une bande dessinée était mon nouvel objectif et la seule chose qui me faisait vibrer.

Peu importe dans quel état je serais à la fin, pourvu que j'arrive à atteindre mon but.

Dana : Jusqu'au bout de mes rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant