CHAPITRE 13

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Poursuite de l'inconnu
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Nous sommes dimanche. Il est seize heures, Sting et Yukino sont déjà repartis, la jeune femme reprenant son travail demain matin de bonne heure. Une feuille vierge et un trousse de feutres devant moi, je ne peux m'empêcher de penser aux tout derniers mots de Sting :  « Tu n'as plus à t'inquiéter pour moi. »

J'attrape un feutre et, énervée, je trace de grands gribouillis sur la feuille. Comment ça je n'ai plus à m'inquiéter pour lui ?! Sale moche me servant de jumeau ! Je change de couleur pour refaire la même chose. Ne pas m'inquiéter, ne pas m'inquiéter, ne pas m' inquiéter ! Il en a des bonnes lui, cet ancien colocataire dans le ventre de ma mère ! J'attrape deux feutres à la fois alors que mes gribouillages reprennent de plus belle. C'est pas lui ! C'est pas lui qui l'a vu au sol cette fameuse nuit ! C'est pas lui qui culpabilise sans cesse de n'avoir jamais rien vu ! Je reprends mes gribouillages de plus belle, tellement énervée que ma feuille se déchire en son milieu, ramollie par les nombreuses épaisseurs de traits de feutres.

Je lève ma feuille à hauteur de yeux, indiquant la fin de mon œuvre. J'avais tellement envie de partir d'ici et d'aller dans cet autre monde, là-bas, au milieu de mes dessins. De le revoir lui. Pour autant, je ne ressens aucune douleur sur un coin de ma tête en me cognant, ma vision ne se floute pas, pas plus qu'elle s'obscurcie, mon esprit ne devient pas brumeux. Rien ne se passe. Pour cause, je ne m'évanouis pas.

Je fronce les sourcils. Est-ce à cause du trou dans la feuille ou...? Prise d'un sérieux doute, je me jette presque sur le crayon offert par M. Macaroft. D'un mouvement très souple, très léger, je trace un simple disque dans un des maigres espaces blancs, épargnés par le feutre. Je repose mon crayon et relève la feuille à hauteur de yeux. Et cette fois, les « symptômes » apparaissent bel et bien. La vision qui se floute, l'esprit qui se fait brumeux, l'impression que le monde tourne tout autour de moi. J'ai juste le temps de remercier mon corps de ne pas avoir le mal de mer sinon j'aurais rendu mon repas à chaque fois et je m'évanouis, sentant juste après mon front s'écraser sur la table.

Je me réveille dans un sursaut, me redressant brusquement. Vivement, je me raccroche à la surface plane sur laquelle je reposais. Je sens mes muscles trembler, autant d'efforts que d'effroi. En dessous de moi, il y a... le vide. Exactement comme dans la maison de mon premier dessin. Un vide sombre, semblant sans fond. Je sais très bien que, si je tombe, je ne ressortirai pas. Je regarde tout autour de moi, tout ma vision étant remplie de toutes ses lignes partant dans tous les sens. Mes yeux s'arrêtent sur Lui, agripé à un trait fin, l'entourant de ses bras et de ses jambes tel un bébé koala accroché à sa mère. En vue de sa position, je devine qu'il regarde dans ma direction. Je lui adresse un petit sourire désolé.

— Salut... Ah ah... Désolée, je crois que j'ai fait de la merde aujourd'hui... Ce que je te propose, c'est d'aller sur la plate-forme grise, là-bas, je fais en tendant le doigt dans la direction indiquée. J'ai dessiné un disque au crayon de papier, il devrait être plus stable qu'ici.

Il hoche doucement la goutte d'eau inversée qui lui sert de visage avant de ramper le plus délicatement jusqu'au fameux rond gris. Je l'imite et c'est tremblante que j'arrive sur la plate-forme sur laquelle je m'étale, haletante.

— Ouf, je souffle. Rogue ne pourra rien me dire, j'ai fait mon sport pour au moins un mois !

Un simple brassement de l'air m'indique que Lui aussi s'est allongé. S'il était réel, je jurerai le voir en sueur. Mais s'il était réel, j'aurais aussi entendu son corps s'effondrer, or là, c'était comme s'il n'était pas matériel, n'offrant qu'un bruissement à mes oreilles.

— Alors, je fais après avoir réussi à reprendre mon souffle. Comment tu vas aujourd'hui ?

Il lève le pouce pour me signifier que tout va bien avant de me désigner de son index. Je lâche un soupir.

Tu n'étais qu'une esquisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant