CHAPITRE 5

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J'ai fait ce dessin il y a deux ans. Et bien que je pense m'être améliorée depuis, il reste parmi mes dessins préférés.
*****

Je rouvre les yeux. Il y a deux personnes, juste devant moi. Une femme dans une longue robe bleue qui caresse la joue d'un homme aux cheveux blonds agenouillé.
Je retiens un cri de satisfaction pour ne pas les effrayer. J'ai réussi ! J'ai réussi ! Je suis à l'intérieur de mon dessin !
Je suis contente. Vraiment contente. Parce que oui, je n'ai plus peur. Je ne saurai dire pourquoi mais je n'ai plus peur de ce monde. Peut-être parce que, cette fois, le monde est en couleur ? Peut-être est-ce parce que, ce monde, c'est moi qui l'ai créé ? Je suis donc en confiance. Je suis là créatrice de cette univers. Si j'étais prétentieuse je dirai même que je suis Dieu dans ce monde.
Je me relève et marche vers les deux personnages afin de les heler. Mais ils ne me répondent pas. Ils ne m'adressent même pas un regard, trop occupés à se contempler. Ce n'est pas que j'ai spécialement envie de m'imposer mais j'aimerai tout de même avoir des réponses aux quelques questions que je me pose : "comment vivez-vous ici ?" ; "est-ce que, même lorsque je ne suis pas dans le dessin, l'univers existe ?" ; "c'est quoi enfaite, une dimension parallèle ? Une distortion temporelle ?"
Alors je me poste face à eux et agite la main pour leur signaler ma présence tout en me raclant la gorge. Aucune réaction de leurs parts. J'agite le bras en entier. Rien. Les deux bras. Toujours rien. J'agite les deux bras, sautille sur place et cri presque. Mais les personnages sont comme statufiés. Statufiés... Victime d'un gros doute, je m'approche d'eux et pose ma main sur la joue de la femme. Je retiens un petit cri d'effroi et retire très rapidement ma main. La peau de la femme est froide et parfaitement lisse. On dirait ces mannequins que l'on trouve dans les magasins de vêtements.
J'effleure la peau du jeune homme pour vérifier mais c'est exactement pareil. J'ai la même et désagréable impression que leur peau est en plastique.
J'attrape leurs articulations et essaye de les bouger comme on peut faire avec les mannequins mais c'est impossible. Ils restent figé. On dirait des statues de cires bien qu'ils arborent une expression plus douce.

Le vent se lève et une rafale vient faire voler le pan de mon peignoir. Je rabaisse immédiatement le tissu en jetant des regards paniqués autour de moi bien que je sache d'avance qu'il n'y a pas âme qui vive.
Il n'empêche... Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi est-ce que j'ai gardé ce peignoir alors que je suis nue en dessous ? Alors que je savais pertinemment que j'allais tenter l'expérience de rentrer dans un de mes dessins ? Comme quoi, même les profs peuvent être d'une stupidité défiant toutes catégories.

Mon regard s'attarde sur la longue robe bleue de la femme. Je regarde mon corps. Je regarde la robe. Mon corps. La robe. Mon corps. La robe. Je ne réfléchis pas plus et retire le beau tissu du mannequin. Je me change très rapidement et laisse mon peignoir au sol. J'observe le délicat tissu tomber souplement sur ma poitrine, la courte traine effleurer le sol derrière moi. Je n'étais pas sûr que la robe m'aille mais finalement, j'ai l'impression qu'elle m'habille assez bien.
« Merci, personnage-mannequin-dessiné-dur-comme-de-la-pierre. »
Je tapote affectueusement le bras de la femme.

Bon, maintenant que j'ai réussi à rentrer dans le dessin et que j'ai pu voir que les personnages ne sont que des pantins inanimés, je n'ai plus rien à faire. Alors autant en profiter jusqu'à qu'apparaisse le compteur. Il ne m'a pas semblé avoir fait quelque chose de particulier ce matin alors on verra bien lorsqu'il viendra. En attendant, j'aimerai bien aller voir le coucher de soleil que j'ai mis si longtemps à colorier en jouant avec les nuances. Je regarde d'un œil lasse les collines qui me séparent de ma destination. Par contre, pourquoi est-ce que je dessine toujours des paysages avec des reliefs, moi ? Pourquoi il n'y a pas d'étendues plates ? La prochaine fois, je dessine une plaine, tiens.
J'attrape les pans de ma robe bleue et commence à gravir la colline. Je fredonne un air de musique épique pour me donner du courage mais renonce très vite lorsqu'un point de côté apparaît. J'ai vraiment une endurance pourrie, moi...

C'est donc haletante que j'arrive en haut de la colline. Je manque de m'effondrer au sol mais je reste debout, scotchée par ce que j'ai sous les yeux. Sur mon dessin, les nuances du ciel étaient perceptibles, il ne semblait pas très réel. Mais là, alors que je suis dans mon œuvre, ce levé de soleil est plus vrai que nature. Les différentes nuances de roses s'accordent parfaitement avec les touches d'oranges, le tout étant piqué de camaïeu de rouge et violet. C'est juste... Magnifique. J'en ai le souffle coupé, et pas que par ma grimpé.

Je tourne la tête pour admirer tout le panorama, voir les deux mannequins sous des colonnes romaines. Pour m'imprégner complètement de ce paysage. Et pour apercevoir l'homme bâton caché au milieu des fleurs.
Cette fois, je ne l'appelle pas. Je sais très bien qu'il me fuierai si je le faisais. À la place, je me contente de l'observer de loin. Restant à bonne distance de lui.
Il fait de même. Enfin, je pense qu'il le fait mais à vrai dire, je ne sais même pas s'il me regarde vraiment. Son visage et l'arrière de sa tête sont exactement les mêmes. Un rond vide.
« Hey, je chuchote. »
Il m'entend. Je sais qu'il m'entend. Mais il ne bouge pas. Il ne fuit pas.
Une lumière apparaît au-dessus de moi. Je lève la tête pour découvrir le compteur affichant qu'il me reste encore 1 minute. 59 secondes. 58. 57. 56.
Je détache mon regard du compte à rebours et découvre le bonhomme bâton qui s'est rapproché. Il est entouré de fleurs de toutes les couleurs qui le cachent un petit peu. Il me fixe. Même si je ne le vois pas, je suis certain qu'il me fixe.
Les secondes continuent de défiler.
38. 37. 36. 35. 34.
Il ne me reste que très peu de temps. Je m'assois en tailleur dans l'herbe, lissant les plis de la longue robe bleue. La dernière fois, j'étais debout et m'étais cogner la tête lorsque le compteur était tombé à zéro or, je n'ai nullement l'intention de réitèrer cette expérience.
9. 8. 7. 6. 5.
Je cri à l'intention du bonhomme bâton :
« Je reviendrai te voir ! »
3. 2. 1. 0.
Vision flou. Esprit brumeux. Je m'évanouis.

Tu n'étais qu'une esquisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant