CHAPITRE 3

126 20 1
                                    

Je sursaute violemment et tombe même de ma chaise.
— Aïe !
Je lâche un petit cri de douleur et bat plusieurs fois des paupières. Je suis tombée de ma chaise de bureau. Le bureau qui se trouve dans ma salle de classe. Ma salle de classe qui se trouve dans l'école. L'école qui se trouve sur la planète Terre. Et la planète Terre est en couleur ! Elle est en couleur ! Tout est de nouveau normal ! Je suis revenue dans le monde normal !

La sonnerie retentit brusquement, me faisant sursauter une seconde fois. Mince... Il est quelle heure, là ? Je me relève, en grimaçant. Je me suis faite assez mal en tombant. Mais alors que je veux regarder l'heure sur l'ordinateur, mon regard tombe sur mon dessin. Je pousse un cri. J'ai vu ce paysage ! J'étais dedans ! J'étais... Dans le dessin ?!
Je me prends la tête dans les mains. Ok, ok. Il se passe vraiment quelque chose de bizarre. Il y a vraiment quelque chose de pas normal.
J'entends des brouhahas à l'extérieur de ma salle et regarde donc enfin l'heure. 11h00. Il est l'heure de mon premier cours.
Juste avant d'aller voir mes nouveaux élèves, j'attrape le dessin et le déchire en milles morceaux que je jette dans la corbeille. Peut-être qu'ainsi, ça me prouvera que ce n'était vraiment que le fruit de mon imagination.
Je sors de la salle et demande aux élèves de troisième de mettre un peu d'ordre dans leur troupeau afin de faire un rang. Bien que quelques-uns se rangent gentiment, la plupart m'ignore royalement.
— Bien, je grommelle. Vous voulez une heure de colle pour notre première heure de cours ?
Les adolescents marmonnent dans leurs barbes inexistantes avant que je ne les autorise à entrer.
— Ne vous installez pas tout de suite. Vous êtes un nombre paire, non ? Formez des duos s'il-vous-plaît.
S'ensuit alors un brouhaha sans nom pour décider de qui se met avec qui.
Une fois que les duos sont formé j'en installe deux à chaque table. Une fois que c'est enfin chose faite, je me dirige vers le tableau. Je leur fait face en leur adressant un grand sourire.
— Bonjour à tous. Je m'appelle Lucy Heartfilia et serait votre professeur de dessin durant votre année. Oui, je viens bel et bien de vous dire mon prénom. Parce que, malgré ce que vous pensez des profs, nous avons bel et bien été jeunes nous aussi. Et déjà, le grand challenge était de découvrir les prénoms des profs. Et bien, pas besoin de mener votre enquête pour savoir le mien, je vous le livre sur un plateau d'argent.
Je vois la commissure des lèvres de quelques élèves se soulever légèrement.
— Bon. Je ne vous ferai pas le speach habituel comme quoi cette année est importante avec le brevet et tout et que le dessin compte pour le contrôle continue. Non, franchement, il n'y a rien de plus énervant alors, soyez rassuré, je vous épargne ça.
De nouveaux sourires apparaissent.
— Par contre, je vais mettre tout de suite les choses au clair. Le dessin est un cours où on laisse vagabonder l'imagination. Pas besoin de savoir dessiner pour faire de l'art abstrait ou je ne sais quoi d'autres. Il n'y a pas de mauvais coups de crayons, il n'y a que des styles différents. C'est pourquoi je ne tolérerai aucune moquerie. Vous pouvez être sûr que je vous colle tout le mercredi après-midi si vous vous moquez de la création d'une personne. Est-ce bien clair ?
Ils hochent tous la tête, sans exception. Même ce petit groupe de garçons qui semble assez rebelle.
— Vous quatre, là-bas, je fais en interpellant ce groupe. Au lieu de jouer aux ruminants, venez plutôt jeter vos bouts de pétrole dans la poubelle, s'il-vous-plaît.
Ils optempèrent, non sans me laisser un regard lasse.
Lorsqu'ils sont revenus à leurs places, je noue mes mains derrière mon dos, penche la tête sur le côté et courbe mon corps vers l'avant, mon sourire scintillant toujours placardé sur mon visage.
— J'espère que nous allons passer une fabuleuse année. Sur ce, veuillez sortir vos crayons de papier !

— Grey Fullbuster, c'est ça ?
Un brun lève son regard couleur d'une nuit sans lune vers moi.
— Je t'ai demandé d'aller jeter ton chewing-gum.
— Mais mam'zelle Lucy...
— Stop, je le coupe. J'ai beau vous avoir donné mon nom, pas de familiarité. Pour vous, c'est madame. Maintenant, va jeter ce plastique que tu mastiques depuis tout à l'heure.
Il pousse un lourd soupir et se lève pour aller jusqu'à la poubelle.
J'en profite pour jeter un coup d'œil à son dessin. Pour moi, pour pouvoir apprendre quelque chose à quelqu'un, il faut savoir qui il est, quelle est sa manière de fonctionner. Et c'est exactement ce que j'ai fais avec le premier sujet que je demande : dessiner ce qui se trouve dans votre esprit. Mais je fronce les sourcils face à ce qu'il a dessiné. Il a colorié toute sa feuille en noir. Juste, au centre, on voit flotter un poing serré ainsi qu'un sourire inquietant. Par-ci, par là, des taches de couleur rouille parsèment le dessin.
Ça veut dire quoi, ça ?
— Hey, madame, m'appelle la voix de Grey. C'est quoi ce dessin au fond de la poubelle ?
Le brun agite entre ses doigts un des fragments du paysage.
— Repose ça, Grey ! Repose ça !
Il fronce les sourcils face à mon ton paniqué, surpris. Et il n'est pas le seul car tous les autres élèves relèvent la tête pour me jeter des regards interrogateurs. Mais le collégien obéit finalement en haussant les épaules. Il revient à sa place et je repose précipitamment la feuille.

Tout le long du cours, chaque fois que j'avais le dos tourné, je sentais le poids du regard du garçon sur mes épaules. Mais je ne peux rien dire car chaque fois que je lui fait fasse, mes yeux se figent sur sa nuque. C'était quoi ce dessin ? Est-ce normal qu'un adolescent puisse penser à ça ? Mais ce ça représente quoi exactement ? Je suis vraiment intriguée. Et vraiment inquiète aussi, je suis bien obligée de l'avouer.
Mais je sais que lui aussi s'était rendu compte que je l'observais, surtout lorsqu'en sortant de la classe à la sonnerie, il m'a jeté ce bien étrange regard.
Grey Fullbuster. Je retiendrai ce nom.

Tu n'étais qu'une esquisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant