CHAPITRE 9

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Ce dessin est celui de la toute fin du chapitre
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Il est dix-sept heure moins cinq. J'installe le dernier pot de crayon sur la table. J'attends que la cloche sonne. Jubia et Grey devraient bientôt arrivé. J'espère que... Que... Enfaîte, je ne sais pas trop ce que j'espère. Je ne sais pas vraiment ce que j'attends d'eux. Qu'ils viennent. Ça serait déjà bien.
La sonnerie retentit et je crispe mes mains autour du tissu de mon tee-shirt que j'agrippe. Dans quelques instants, les deux collégiens vont venir. J'ai prévu de les faire dessiner. Et de les faire parler. Je souhaiterai poser quelques questions à l'oral et, si je n'obtiens rien, ce dont je me doute, je leur demanderai de répondre sur papier.

Grey arrive dans l'encadrement de la porte et toque. J'affiche un grand sourire et l'invite à rentrer. Il balance son sac contre un pied de la table et s'assoit sur sa chaise. Et s'affale sur sa chaise serait plus précis.
Mon sourire est peu rassuré mais je l'affiche quand même.
— On attend encore une personne et on va commencer.
— Comment ça on attends ? Je me fais niquer moi si je suis en retard en heure de colle.
— Ce n'est pas une heure de colle, Grey.
— Alors c'est quoi ? Une réunion entre élève et prof ? Je vais déjà me prendre un avertissement pour mon "comportement" ? Une semaine après la rentrée ?
— Ce n'est rien de tout ça.
— Alors je me casse. Y a des papillons qui attendent que je les prive de leur liberté en leur arrachant les ailes.
Je perçois une ironie amère dans sa voix tandis qu'il empoigne la hanse de son sac.
— N'est-ce pas plutôt toi, le papillon ? Il ne répond pas et se dirige vers la porte. Mais au moment où je m'apprête à le rappeler, il semble buter dans quelque chose et esquisse quelques pas en arrière. Une seconde après, une tête avec de longs cheveux bleus dépasse de l'embrasure.
— Madame, m'appelle Jubia. C'est bien ici que vous m'avez demandé de venir ?
— Oui oui, c'est là. Rentre Jubia, je t'en prie. Et Grey reviens t'asseoir.
Le brun marmonne des paroles inaudibles et retourne à sa place, juste à côté de la quatrième.
Je m'assoie face à eux.
— Est-ce que vous savez pourquoi je vous ai demandé de venir ?
— Parce que vous voulez vous entraîner à mettre des heures de colle ?
J'ignore royalement l'intervention de Grey.
— Je voulais vous parler de vos dessins.
Aussitôt, les deux collégiens se lancent un regard gêné avant de s'écarter l'un de l'autre. Mmh... Bon, on pouvait faire mieux comme approche. Mais ils étaient ensemble, c'est déjà vraiment pas mal.
— Est-ce que vous pourriez m'en parler ?
Ils se regardent une nouvelle fois avant de recommencer à augmenter la distance entre leurs chaises.
— Je suppose que je dois prendre ça pour un non ?
Les deux collégiens ne réagissent pas.
— Très bien, alors, vous savez quoi, on va dessiner.
Je leurs tends une feuille vierge à chacun.
— Je veux que vous me dessinez le paradis.
Ils attrapent leurs crayons et commencent à dessiner.
Je les laisse faire cinq minutes avant de me pencher par-dessus leurs épaules. Brusquement, j'attrape chacune de leurs feuilles et les déchire. Ils restent estomaqués alors que je fais disparaître les ailes duveteuses de leurs anges.
— Recommencez.
Légèrement énervés, ils attrapent chacun une nouvelle feuille.

Cette fois, c'est au bout de quinze minutes que j'attrape leurs dessins pour les réduire en miettes.
— Madame, proteste Jubia.
Grey, quant à lui, se lève d'un bond.
— Rassis-toi, Grey. Tu as un dessin à faire.
— Pour que vous le déchirez encore ?
— Je ne le déchirerais pas si tu me dessine le paradis. Rassis-toi, Grey. Je ne le répéterai pas.
Il pousse un lourd soupir et se rassois avec une certaine forme de violence. Il attrape vivement la feuille, manquant de la froisser. Tous ses gestes trahissent son énervement. Et pourtant, sitôt qu'il attrape son crayon de papier, il se calme et fais de gracieux gestes. Jubia l'imite.

Et au bout de trente-cinq minutes, même si ça me fait presque de la peine pour eux, je prends une énième fois leurs dessins. Et je les déchire en mille et un morceaux.
Cette fois, je vois bien qu'ils ne peuvent contenir leur énervement. Jubia jette son crayon sur la table et croise les bras sur sa poitrine. Grey se lève d'un bond et se dresse face à moi. Je ne suis pas très grande, un mètre soixante à tout casser. Et Grey me dépasse de bien dix centimètres mais malgré ça, je ne me démonte pas. Je ne baisse nullement le regard.
— C'est quoi votre problème, grince le collégien.
— Je n'ai aucun problème.
— Alors pourquoi vous déchirez chacun de nos dessins ?
— Parce que vous ne respectez pas la consigne donnée.
— Mais on les dessine vos putains d'anges, tempête-t-il. Leurs ailes et leurs instruments à la con !
— Je vous ai pourtant demandé de dessiner le paradis.
La sonnerie retentit pour annoncer dix-huit heures. Le brun attrape violemment son sac pour sortir mais juste avant qu'il ne sorte, je le rappelle.
— J'ai vu que vous finissez tous les deux à seize heures demain... Vous viendrez deux heures avec moi. Et autant vous le dire tout de suite, si vous ne venez pas, je vous colle le mercredi après-midi.
Pour unique réponse, Grey claque violemment la porte derrière lui juste après que Jubia soit sortie.
Je pousse un soupir et me passe une main dans les cheveux. Je m'en doutais. Je savais très bien qu'ils réagiraient ainsi. À vrai dire, j'aurais fais exactement pareil à leur place...
Je m'assois devant la table et attrape à mon tour une feuille vierge juste après être allé fermer la porte à clé. Mes cours sont déjà prêt pour demain et je n'ai pas vraiment envie de rentrer tout de suite chez moi.
Je dessine une femme flottant dans le ciel, sa longue robe bleu nuit drape la terre d'une voûte céleste étoilée. Le plus difficile s'avère être toutes les nuances de couleurs possible et immaginable. Que ce soit pour la robe, la peau, les nuages. Pour tout dire, dans l'iris de l'œil, je mets au minimum trois couleurs.

Je lève finalement mon dessin à hauteur de yeux. Je n'ai le temps de dire que six mots.
« Mince, les yeux sont pas pareils... »
Et je me tape le front contre la table en sombrant dans l'inconscience.

Tu n'étais qu'une esquisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant