Chapitre 10

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J'ouvre la porte d'entrée de notre appartement. Emma relève le visage vers moi, ça dure une seconde, dans laquelle elle ne décroche pas un sourire. Elle replonge dans son livre. Je referme la porte, pose ma veste sur le porte-manteau et avance vers le salon. Je m'assois dans le canapé à côté d'elle. Ça va faire deux jours que j'ai commencé le travail que mon père m'a trouvé et chaque jour, j'ai un peu plus envie de m'enfuir loin d'ici. Je déteste ce qu'on me demande de faire. Lire des chiffres pour comprendre où des riches peuvent investir. Je n'y trouve aucun intérêt. Rien du tout. Je jette un coup d'œil à Emma, toujours absorbée par sa lecture. Ses longs cheveux sont attachés en une queue de cheval. Elle porte un col roulé bordeaux. Nos parents sont partis il y a une semaine de la maison. Une semaine qu'avec Emma, on se regarde dans le blanc des yeux tous les soirs, sans savoir quoi se dire.

— On mange quoi ce soir ?

Elle relève son regard vers moi, choquée que j'ose lui poser une telle question.

— Tu plaisantes j'espère ?

— Tu sais ce qu'on peut cuisiner ?

— Je ne sais pas plus que toi ce qu'il y a dans le frigo.

Je me relève et avance vers la cuisine, fatigué d'une énième dispute. Elle fait la tête depuis trois jours, je ne sais même pas pourquoi. J'ouvre le frigo. Il est totalement vide. Immédiatement, je réentends la voix de ma mère qui nous demande si nous allons réussir à vivre seuls, Emma et moi. Je referme la porte.

— Y'a rien. On ne mange pas ?

Emma arrive dans la cuisine. Ses yeux m'envoient des éclairs.

— Enfin fais ce que tu veux, moi je n'ai pas faim.

Je la contourne pour rejoindre ma chambre.

— Maman m'a appelée jeudi. Ils reviendront pour Noël ici.

— On ne va plus là-bas ? demandé-je.

— Non.

Son ton est froid et je comprends assez rapidement qu'elle est là, la raison de sa colère. Je tourne les talons pour rejoindre ma chambre, mais elle dit les mots de trop.

— C'est ta faute et tu t'en fous.

— Pardon ?

— Tu as très bien compris ce que je t'ai dit. On a tous bougé pour toi. J'ai quitté mes amies pour toi, tous les projets que j'avais en cours. J'ai tout quitté et maintenant je dois jouer à la babysitter. Et toi, tu n'en as rien à faire. C'est dégueulasse.

— Je ne vous ai jamais demandé de faire tout ça.

— Et on aurait dû faire quoi ? Te laisser tout seul avec tes problèmes ? T'abandonner là-bas ?

— Je ne vous aurais pas regretté.

La main d'Emma s'abat sur ma joue violemment. Je ne sais pas depuis quand on a passé cette limite, celle de se dire qu'on a le droit de se frapper comme si tout était normal. Elle me foudroie toujours autant du regard, et moi je reste silencieux, comme une pierre tombale.

— Il n'y a que toi qui compte ici et tu ne le réalise même pas. Je n'en peux plus de vivre uniquement derrière ton ombre, derrière tes problèmes.

Il y a peu de personne que je déteste dans le monde, mais elle, elle fait partie de l'une d'entre elle.

— Si tu ne voulais pas déménager, tu n'avais qu'à te taire, nuancé-je. Si tu m'avais laissé tout seul avec mon problème, on n'en serait pas là. Je ne t'ai jamais demandé ton aide.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant