Chapitre 16

34 10 1
                                    


Je rabats la couette sur mon corps avant de reporter mon attention sur Rose. Ça fait trois jours qu'on vit chez Kriss. Trois jours que je passe mes journées entièrement avec Rose. Hier on a été à la plage, aujourd'hui on a aidé l'association LGBT à distribuer des préservatifs dans un squat. Je me sens utile ici. J'ai rencontré d'autres hommes gays, je les ai interrogés. Ce séjour me fait du bien. Rencontrer des gens qui ont les mêmes histoires, m'en raconte une nouvelle sur moi-même.

Rose s'allume une clope. Je l'observe souffler la fumée dans les airs. Il vient de me raconter son premier voyage seul. Il avait quatorze ans et avait décidé de fuguer de chez sa grand-mère. Il était parti avec un sac à dos, en stop. Je trouve ça incroyable de voir un type comme ça. Parfois, il me fait penser au disney que je regardais quand j'avais 8 ans. Peter pan, l'enfant qui ne voulait pas grandir. Quand j'étais petit, j'étais fan de cette histoire. Je me disais que la vie de ce personnage était incroyable. Un beau jour, il était parti de chez ses parents pour aller vivre sur une île merveilleuse avec des sirènes, des pirates et des indiens. Dans le livre de James Barry, il disait qu'il était parti voir le monde. Rose lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Il a vingt-deux ans et lui aussi, il part voir le monde. Il est joyeux, égoïste et sans coeur, comme un enfant. Il est pur dans ce qu'il ressent et parfois incompatible avec le monde actuel. Alors, comme Peter pan, il renonce à une famille et à devenir adulte pour vivre dans son monde à lui. Je souris, amusé. Rose est Peter Pan et moi, je suis le remake de Wendy prêt à le suivre sur son île.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s'intéresse-t-il.

— Je me parle tout seul dans ma tête.

— Tu fais souvent ça.

— Me parler tout seul dans ma tête ?

— Oui, répond-il. Parfois je te regarde et tu souris tout seul. Comme si tu venais de te raconter une super blague. Ou l'inverse, parfois tu as l'air super triste ou énervé alors qu'il ne s'est rien passé de particulier. Tu es très expressif en fait.

— Toi aussi, tu l'es. Mais c'est aussi parce que je t'ai rarement vu essayer de cacher quelque chose.

— C'est vrai, répond-il pensif. En même temps c'est notre pacte, être nous-même.

Il écrase sa cigarette dans le cendrier. Son corps retombe sur le lit. Il regarde le plafond avant de se pincer les lèvres. Je trouve ça ironique qu'il dise ça maintenant alors que ça se voit à des kilomètres qu'il se retient de dire quelque chose.

— Oui ?

— Le mariage est passé ? , répond-il.

Je regarde Rose totalement dépourvu. Je ne m'attendais pas à ce qu'il dise ça.

— Pourquoi ?

— Il est passé ou pas ?

— Oui, je crois.

— Pourquoi tu n'y as pas été ?

— Faire quoi ? lancé-je sur la défensive. Me présenter devant l'église et crier "oui, moi je m'oppose à cette union" ?

— Par exemple.

— Je n'ai pas vu Michael depuis deux ans. Il me déteste vraiment et je pense que je suis la dernière personne qu'il ait envie de voir. Et puis, j'y ai réfléchi : s'il a décidé de se marier, c'est sûrement parce qu'il l'a choisi. Peut-être que c'était la seule façon pour que son père le lâche ou pour, tu sais, avoir une vie normale.

— Tu ne penses pas que c'est son père qui lui a imposé ce mariage ?

Michael est l'homme le plus têtu et fort que je connaisse. Jamais il se serait fait imposer quelque chose qu'il n'aurait pas voulu par son père. S'il s'est marié, c'est sûrement par confort, parce que sur la palette des choix qui se présentait à lui, aussi mince soit-elle, celui-là devait être le plus en accord avec la vie qu'il a décidé de mener. Alors certes, ce n'est pas un choix libre, mais ça reste le sien.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant