Chapitre 4

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Je marche sur les pas de Rose, il a prévu de me présenter des hommes du bordel aujourd'hui. J'ai accepté même si je n'ai pas fini de travailler avec lui. Il y a encore pleins de choses que j'ignore. À chaque fois que nous commençons un entretien, il répond à mes questions puis finit par partir ou me parler de choses qui n'ont strictement rien à voir. Parfois, il se ferme complètement et s'enfuit dans son propre monde. C'est le cas d'aujourd'hui. Je le vois rire tout seul, alors je le suis sans l'interrompre parce que son monde, c'est aussi ses silences et j'essaye de les respecter.

— Il s'appelle Storm, m'explique-t-il sans se retourner.

— Vous êtes amis ?

Il ne répond pas et je me doute que ça veut dire non. Il s'arrête devant une porte en bois et frappe au battant. La chambre s'ouvre et nous entrons tous les deux. En face de moi se tient un jeune homme un peu plus âgé que moi, je dirais dans les vingt-huit ans. Il a les traits fins et des pommettes saillantes. Il porte du maquillage, comme Rose. Des traits noirs sous les yeux, un vieux tee-shirt trop grand. Il est immense. 1m90, pas moins, beaucoup plus mince cependant, presque squelettique. Il a des cernes violets sous les yeux, alors je me fais une note mentale pour l'écrire dans mon carnet. Mauvaise alimentation ? Fatigue ? Stress ? Ou est-ce que lui aussi est malade ?

— Je m'appelle Thomas, me présenté-je en lui tendant la main.

— Storm.

Il observe Rose du coin de l'œil alors celui-ci se décide à intervenir :

— Non ce n'est pas mon client, mais fais comme s'il l'était.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? demandé-je en me retournant vers lui, surpris.

Il ne répond pas et continue de regarder Storm.

— Donc il fait une enquête sociologique, explique Rose, il veut savoir pourquoi nous nous prostituons. Réponds ce que tu veux.

— Ce que je veux ?

— Ouais, je m'en fiche.

Storm hoche la tête et Rose se retourne vers moi un sourire aux lèvres :

— On se recroisera bientôt je suppose.

— Sûrement oui.

Il sourit et sort de la chambre. J'espère que la prochaine fois qu'on se reverra, il voudra bien m'accorder encore un peu de son temps. Je reporte mon attention sur Storm qui va s'asseoir sur le lit.

— Donc tu fais une enquête ? commence-t-il.

— Pourquoi tu dois faire comme si j'étais son client ? l'interrogé-je, ça veut dire quoi ?

— Ce n'est rien.

— Je ne lui dirai pas. Nous ne sommes pas amis lui et moi, c'est juste pour mon mémoire qu'il m'aide.

— Rose n'aide jamais personne.

— Ça voulait dire quoi « fais comme si c'est mon client » ?

— Ça veut dire que je n'ai pas intérêt à tenter quelque chose avec toi.

Je sens mon ventre se serrer légèrement, mais j'essaye de ne pas le montrer. Il me considère comme l'un de ses clients, comme l'une de ses chasses gardées. Je ne sais pas si je dois être flatté ou lui en vouloir d'oser me présenter de la sorte. Je ne suis pas comme ses clients. Je ne suis pas l'un d'entre eux et je ne cherche pas à aller voir ailleurs non plus. Je veux comprendre, mais je ne suis ni à Rose, ni à personne d'autre. J'essaye de retrouver mon calme.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant