Chapitre 7

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J'avance vers la rue dans laquelle j'ai rencontré Rose pour la première fois. C'est là qu'il attendait ses clients, c'est là où tout a commencé pour moi. Il fait jour cette fois-ci, jour et froid à cause du vent, je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille avant d'avancer vers lui. Il est assis sur le même escalier, cigarette à la bouche, regard perdu vers le lointain. Rose et l'absence de Rose, deux choses qui me perturbent toujours. J'arrive à sa hauteur. Il ne dit rien et continue de fumer alors que je m'installe à côté de lui, en silence. Je le regarde du coin de l'œil, se brûler tranquillement les poumons en crachant sa fumée blanche dans les airs. Ça me fait du bien, juste de l'avoir comme ça, avec moi. De savoir qu'il va bien. Je frissonne à cause du froid. Le ciel est voilé de nuages et cette rue est toujours aussi sombre. Rien ne change jamais en soi. Rose a besoin d'espace pour vivre et Chicago est sûrement la ville la plus oppressante que j'ai connue. New York, c'est grand, il y a de tout, on s'y sent plus libres qu'ici, moins seuls aussi... A New York, il doit y avoir assez de place pour des milliers de personnes comme Rose.

— Pourquoi tu es revenu ? demandé-je.

— D'habitude les gens me demandent pourquoi je suis parti.

Il écrase sa cigarette sur la marche du dessous avant de tourner son visage vers moi. Il porte du fard à paupières sombre aujourd'hui, ce qui lui donne un air plus dur que d'habitude.

— Et toi, pourquoi tu es revenu ? lance-t-il sans répondre à ma première question.

— Tu avais donc remarqué mon départ, commenté-je.

— Je me suis dit que tu avais abandonné ton projet.

— Pourquoi tu es parti ?

— Et toi ? Pourquoi tu as fui ?

— Je suis revenu, annoncé-je. Y'a deux semaines.

Y'a un silence. Je m'attends à ce qu'il enchaîne avec une autre question, mais il ne dit rien. ça m'encourage à continuer.

— Je t'ai cherché.

Je joue avec les articulations de mes doigts, alors qu'il sort une nouvelle cigarette. Il craque une allumette pour l'allumer.

— La prochaine fois, commencé-je, dis-moi quand tu pars. Ou dis-moi quand tu reviens.

— Pourquoi ?

— Je n'avais aucune idée de si tu allais bien ou non. Je t'ai attendu.

— Tu n'aurais pas dû, me coupe-t-il. Je ne t'ai jamais demandé de faire ça.

— Tu es le principal sujet de mon enquête.

— De ton enquête, pas de ta vie. Et je ne suis pas le seul prostitué de ce quartier. Tu as très bien su trouver d'autres enquêtés tout seul d'ailleurs.

Son ton est froid. Il ne m'en voulait pas d'être allé voir Noam il y a un mois, mais soudainement, ça semble être un reproche. J'ancre mes yeux dans les siens. Je ne crois absolument pas à son histoire de jalousie, ni au fait qu'il soit réellement énervé car je m'inquiète pour lui.

— Je te connais, c'est normal que ça me préoccupe ce que tu deviens.

— Pas tant que ça.

— Pas tant que ça quoi ? m'énervé-je.

— Pas tant que ça que tu me connais. Pas tant que ça que ce soit normal.

Il joue à l'homme déchu qui ne mérite pas qu'on s'intéresse à lui, c'est cliché et insupportable. Je ne prends même pas la peine de répondre à ça. Alors je ne sais pas si c'est une pure vengeance ou non, mais j'attrape mon carnet de notes et commence à écrire le résumé de ce que Storm m'a dit à son sujet. « Rose dépense l'argent qu'il gagne dans des voyages qu'il réalise seul pour fuir son quotidien. Il ne prévient personne quand il part et ne prévient personne quand il rentre. = volonté d'indépendance et de liberté ». Je referme mon cahier et le rouvre de suite. « Cherche à attirer l'attention en se montrant libre et détaché de tout le monde = IMAGE. Il est juste seul. + Vexé que je sois parti pendant quelques temps pour mon mémoire ». Ça c'était juste de la vengeance.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant