Chapitre 15

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Nous avons roulé, roulé, roulé. Pour rattraper notre retard du garage. Peut-être aussi pour nous éloigner de Los Angeles. Pendant un moment, j'ai cru que Rose voulait y passer. Il m'a dit "On doit être à seulement deux heures de Los Angeles là". Il avait raison. On était à deux heures de Michael, mais je n'ai pas répondu. C'est San Francisco notre direction, depuis le début. Alors on a roulé, roulé, jusqu'à être loin. Jusqu'à ne plus pouvoir faire demi-tour. Il nous restait neuf heures de route. Il ne nous en reste un peu moins de trois. Rose dort contre la vitre de la voiture. J'ai un peu mal au cœur aujourd'hui, et en même temps, je réalise que j'ai pris la décision qui me hantait depuis le début de ce voyage. Je vais laisser Michaël faire sa vie et je vais faire la mienne. Pas celle que mon père a prévu pour moi, une autre. Celle qui me rend heureux.

Je regarde l'horizon devant moi, cette route qui n'en finit pas. Je suis homosexuel. Je suis fort comme ça. Je suis fort et beau et je sais aussi qu'il n'y a rien de mal à l'être maintenant.

Je jette un coup d'œil à Rose. Je ne sais pas pourquoi il pleurait hier soir. Je ne sais pas s'il y avait une raison précise ou si c'était globale. Des pleurs retenus pour tout un lot de souffrances cachées. Je ne lui ai rien demandé. Le fait est qu'il dort à présent. Ses jambes sont repliées sur son torse, comme s'il avait cherché lui-même à s'envelopper avec ses bras. Rose m'a dit qu'il ne voulait pas d'amis pour ne pas porter de masque, mais j'ai l'impression qu'il raisonne à l'envers. Ce masque ne lui sert à rien s'il est avec quelqu'un qui l'aime vraiment pour ce qu'il est. Et cette position, ses pleurs, ça me donne juste l'impression qu'il a encore plus besoin d'amour que les autres. Mais il ne laisse personne le faire, cet abruti. Alors, la suite de l'histoire est logique, les gens ne s'attachent pas à lui, finissent par le fuir et ça lui donne raison. Autant être seul, car personne ne reste jamais. C'est un cercle à l'infini.

Les gens qui ont le plus besoin d'amour, sont ceux qui se laissent le moins être aimer. Ils ont peur que ça ne soit jamais assez.

Si Rose me laissait cette place, s'il me laisser vraiment avoir une place dans sa vie et pas seulement le suivre sur un petit passage, peut-être que moi je pourrais briser ce cercle absurde. S'il me rendait ce que je lui donne, je pense que moi je pourrais l'aimer.

*

Je pose mon sac sur le canapé, jetant un rapide coup d'œil à la pièce. Nous sommes arrivés dans la nuit à San Francisco avec Rose, on s'est posés dans un motel et ce matin, nous avons directement été dans le quartier gay. J'avais déjà été dans cette ville, mais jamais dans le Castro. Michael m'avait invité plusieurs fois là-bas, mais je n'avais jamais osé y mettre les pieds. Comme si entrer dans le quartier homosexuel m'était interdit ou que l'identité d'hétéro m'aurait été retiré. C'était stupide. Notamment car j'aime bien ce quartier. Bien plus agréable que celui de Chicago. Nous nous y sommes promenés un petit peu avec Rose, avant de tomber sur le centre LGBT. C'est étrange parce qu'à cause de cette histoire d'hôtel, j'ai eu l'impression qu'on y était chez nous.

—Tu peux t'asseoir si tu veux.

—Merci.

Je souris à Kriss, une membre de l'association LGBT qui nous a proposé de nous héberger. Nous étions super contents Rose et moi, et puis quand nous sommes arrivés chez elle, les choses se sont enchaînées plutôt vite. Rose a dit que j'étais sociologue et venu ici pour interroger des homosexuels, Kriss a dit qu'elle voulait répondre à mes questions et Rose a dit qu'il allait à la plage. Alors il est parti je ne sais trop où et moi je suis là avec Kriss, seul, légèrement dérouté, maudissant Rose de s'être débarrassé aussi facilement et aussi vite. Mon mémoire était censé être orienté sur les hommes gays et non les femmes lesbiennes, alors je ne sais pas par quoi commencer.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant