Chapitre 13

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Je regarde le paysage défilé de nouveau sous mes yeux avec l'étrange impression de revivre la journée d'hier. C'est comme si Rose et moi, on se trouvait actuellement dans une faille spatio-temporelle. Ce qu'on vit n'existe pas. Il y a une ville A et une ville B. Il y a le "avant" et y'aura le après. Il y a eu ma relation avec Michael, l'homophobie de ma famille, ma vie à Chicago et il y aura ce qu'on va trouver en Californie, l'inattendu. C'est drôle ce moment, quelque peu étrange aussi de s'autoriser à vivre comme si tout ça ne comptait pas. De faire une pause.

– Les endroits du monde où tu rêverais d'aller ? demande Rose.

Je souris. Depuis tout à l'heure, on se pose des questions sur nos envies, ce qu'on aime, ce qu'on déteste. Des petites choses lambdas qui ressemblent à des questions poser pour et par des enfants de huit ans, mais ça nous occupe pendant la route.

– J'aimerais bien aller au Mexique un jour, aussi en Suède. Toi ?

– En Europe. Je rêve d'avoir un van et de voyager partout là-bas. Un peu comme les auteurs maudits.

– Tu écris ?

– Un peu oui.

– Qui sont tes auteurs préférés ? demandé-je.

– Je n'en ai pas. Ceux qui ne sont pas connus j'imagine. Ils ont l'immense chance et l'incroyable tristesse de ne vivre leur talent qu'avec eux même. Je trouve que c'est plus poétique. Toi ?

– J'aime bien Jack Kerouac.

Il sourit et je réalise que c'est sûrement parce que c'est très cliché.

– Plat préféré ? demandé-je.

– Le risotto, je pourrais en manger des tonnes et des tonnes sans jamais m'arrêter.

– Moi c'est la purée de patates douces.

– Sérieusement ?

– Oui, ça a un goût de plat familial. Ma mère en fait tout le temps pour Thanksgiving.

Je regarde par la fenêtre. On a toujours fêté Thanksgiving en famille. Y'a que cette année qu'on ne fera rien. Papa et maman sont à Los Angeles, Emma à Chicago, seule. Et moi je suis là, sur la route avec un type que je ne connais pas si bien que ça. Je ressens presque de la culpabiliser tout d'un coup. Je me demande ce que va faire Emma.

– Tu fêtes vraiment Thanksgiving ?

– Pas toi ? m'étonné-je en me tournant vers lui.

– Y'a rien de fun à célébrer la colonisation et le massacre des amérindiens. Cette fête est juste raciste.

– Pour moi, c'est surtout un moment pour passer du temps avec ceux qu'on aime.

– Alors avec qui tu voudrais que je le fasse ? demande-t-il.

Je baisse la tête, gêné. Sa mère est morte, son père disparu et il n'a aucun ami. Ma remarque était stupide.

– Peut-être qu'on pourrait faire un repas ensemble un jour.

– Combien de temps tu penses que ce voyage va durer ?

– Combien de temps compte tu rester à San Francisco ?

– Aucune idée.

– Alors peut-être qu'on fera un repas ensemble si on a le temps.

Rose fixe la route, ses yeux se plissent légèrement comme s'il cherchait à analyser ce que ça voudrait dire, avant de s'ouvrir subitement.

Les oiseaux du BoystownOù les histoires vivent. Découvrez maintenant